Le saumon de l'Atlantique dans l'histoire de l'Amérique du Nord

George McGregor, qui habite dans la région, rapporte
que 900 saunions ont été capturés de cette façon au
cours d'une expédition; un autre habitant déclare que
«1100 saumons au moins ont été pris au cours de l'une
de ces expéditions ». 27
Vers la fin de la première décennie du XIX' siècle,
la pêche au saumon et à la morue s'est beaucoup développée
dans la région de la baie des Chaleurs comme le
constatait un observateur :
Il y a plusieurs postes de pêche sur la côte; les plus
importants sont Percé et la baie des Chaleurs. Une
douzaine environ de bateaux à gréement en carré et de
nombreuses petites embarcations sont utilisés chaque
année pour la pêche commerciale. Les poissons, d'une
valeur de £60 000 par année, sont préparés et mis sur
le marché pour être expédiés à Québec, puis acheminés
vers les Antilles et ailleurs, ou consommés au pays.'
MIRAMICHI
À la fin de la Révolution américaine, William
Davidson revient s'installer à Miramichi. Pendant la
guerre, il s'était adonné au commerce lucratif de mâts
qui provenaient de ses terres à bois situées dans la
région de la rivière Saint-Jean. Il veut maintenant remettre
sur pied la pêcherie de Miramichi et exploiter
davantage le potentiel forestier de ses vastes terres. Son
retour coïncide avec l'arrivée massive de Loyalistes,
désireux de refaire leur vie dans cette partie de la province;
en fait, le gouvernement confisque une bonne
partie de ses terres non amendées qui sont arpentées et
morcelées en lots, puis distribuées aux nouveaux
colons. Davidson parvient à récupérer une partie de ses
terres, notamment le terrain attenant à son ancienne
pêcherie de saumon près de Quarryville.'
En 1784, première année de la reprise de ses activités
de pêche, il prépare 500 barriques de saumon
provenant de la rivière Miramichi et de la baie des
Chaleurs. L'année suivante, le rendement total des
opérations de pêche dans la rivière Miramichi est estimé
à près de 1000 tierces, soit environ 472 000 livres de
saumon frais entier.'
Davidson fait preuve d'énergie et d'esprit d'entreprise;
toutefois, comme il n'a pas amélioré ses méthodes
de pêche, il est souvent critiqué notamment par
Benjamin Marston, le nouveau shérif loyaliste du comté
de Northumberland qui, en 1785, se plaint des activités
de Davidson en ces termes :
Des filets à saumon sont tendus si loin dans la rivière
à partir de chaque rive, qu'ils s'entremêlent à certains
endroits et sont posés le long des rives entre l'établissement
le plus bas et la limite supérieure de la
concession Davidson & Corts de façon à arrêter les
poissons. À la limite supérieure, la situation est encore
pire. Ils ont tendu un filet croisé d'une rive à l'autre de
la rivière. Les filets fixes, d'une longueur démesurée,
obligent sûrement les poissons en bancs à rebrousser
chemin dans les étranglements de la rivière. Mais les
filets croisés, une fois tendus, empêchent tous les poissons
de remonter le courant jusqu'aux lieux de frai et
entraînent finalement la réduction ou la destruction de
l'espèce?'
Marston n'est pas directement concerné par la pêche
locale et ses critiques visent essentiellement à permettre
à tous d'exploiter la ressource; toutefois, ses plaintes
témoignent également de la rancoeur générale des réfugiés
à l'encontre de l'établissement pré-loyaliste. Son
rapport fait peu de remous dans les cercles officiels,
mais il est suivi d'autres protestations du même genre.
Certains affirment que la famine menance les Indiens
vivant en amont de la pêcherie; en outre, les colons
(présumément des Loyalistes) réclament leur juste part
de la ressource. 32
Jusqu'en 1786, la pêche au saumon dans la rivière
Miramichi et ailleurs au Nouveau-Brunswick n'est pas
réglementée. Cette année-là, on adopte une loi réglementant
la pêche en général dans la colonie, à l'exception
malheureusement de la rivière Miramichi; cette
omission est expliquée ultérieurement dans la modification
apportée à la Loi : « Étant donné qu'il n'y a
actuellement aucune cour de justice dans le comté de
Northumberland, il est décidé que la Loi ne s'appliquera
en aucun cas au dit comté ou à ladite
rivière ». 33 Par cette modification, pratiquement la moitié
de la province n'est soumise à aucune réglementation
sur la pêche, car à cette époque le comté
de Northumberland englobe aussi les comtés actuels de
Restigouche et de Gloucester.'
La loi fait quelques mécontents, mais aussi beaucoup
d'heureux car elle n'impose aucune restriction sur
la pêche au saumon dans la région. L'année même où
elle est adoptée, les magistrats protestent auprès des
autorités au sujet des irrégularités constantes commises
dans le comté de Northumberland, et spécifient que les
filets croisés utilisés par Davidson « constituent une
menace pour la paix »." Ces protestations restent sans
effet, et la pêche au saumon dans la région ne sera pas
réglementée avant plusieurs années.
En 1789, le rendement annuel de la pêcherie de
Miramichi est estimé à 3000 tierces, soit 1 416 000
livres de saumons frais; la production des pêcheries de
1790 et 1791 est légèrement inférieure, toutefois, le
rendement maximal de toute année antérieure à 1800 est
chiffré à 3 800 tierces, soit 1 800 000 livres de poisson
frais. L'exploitation de Davidson, à elle seule, sur le
bras nord-ouest de la rivière, représente, chaque année,
de 1 200 à 1 500 tierces de ce rendement total."
Patrick Campbell, un Écossais de passage dans la
région de Miramichi en 1979, observait que chaque
riverain
avait le droit de pêcher avec un certain nombre de filets
sur sa propriété. La plupart, sinon tous, tirent de grands
73