Le saumon de l'Atlantique dans l'histoire de l'Amérique du Nord

Godfrey Leydick et plusieurs autres qui ont pêché illégalement
sur sa propriété. Reconnus coupables, les accusés
doivent payer une amende de £10; Bonsal s'élève
contre cette condamnation injuste et excessive, d'autant
plus que le boucher lui-même a déjà commis des crimes
semblables. Bien loin de s'amender, Boggs et Leydick
seront bientôt de nouveau poursuivis et accusés d'avoir
« tendu des filets six pouces à l'intérieur du lot d'un
autre propriétaire ». 5°
La pêche à la fascine pratiquée dans le havre diffère
de la pêche au filet; les barrages de fascines sont
considérés comme un bien public, comme le décrivait
Patrick Campbell en 1791 : « Sur la rive de la rivière
Saint-Jean se trouve un gros barrage de fascines entrecoupé
de barrages plus petits, et les hommes qui l'entretiennent
et le réparent peuvent l'utiliser». Les filets
et les barrages de fascines capturent d'énormes quantités
de poissons. « Parfois », observait Campbell, « les
prises sont si abondantes qu'elles ne peuvent être consommées
par tous les habitants de la ville qui ne trouvent
pas suffisamment de barriques pour saler et préparer
les poissons ». Des filets à saumon, de 20 à 30
toises de long, sont tendus, une extrémité maintenue en
place à la laisse des basses eaux et l'autre extrémité
solidement fixée en eau profonde, tout le long des rives
du havre, les concentrations étant plus fortes aux endroits
où l'eau tourbillonne. Selon Campbell :
Au moment des marées, lorsque les filets flottent à la
surface de l'eau, les bancs de poissons qui remontent la
rivière nagent avec une telle vigueur et en si grand
nombre qu'ils propulsent une bonne partie des filets
hors de l'eau. Les saumons sont si abondants ici que
j'ai entendu dire que 3 000 saumons avaient été capturés
de cette façon durant une seule journée. 51
Un seul l filet tendu au Trou du diable, l'un des meilleurs
lieux dé pêche de la rivière, prend 100 saumons en une
journée. En règle générale, les saumons pèsent de 10 à
15 livres, mais des poissons de 20 ou 30 livres ont déjà
été capturés. Les meilleurs poissons, de taille normale,
coûtent seulement un shilling au marché loca1. 52
Le saumon est une importante source alimentaire
pour les premiers habitants des villes, et les bons lieux
de pêche relevant ou non de la juridiction du conseil
sont particulièrement recherchés. L'avis suivant, publié
dans le journal de Saint-Jean Royal Gazette, le 31 décembre
1798, montre que la seule mention d'un droit de
pêche au saumon est une raison suffisante pour acheter
un terrain : «A vendre : Terrain et améliorations du lot
n° 3, appelé communément Pointe Pangburns, juste en
amont des chutes — emplacement idéal pour la pêche
au saumon, égal à tout autre sur la rivière Saint-Jean ». 53
Les marchands de la ville s'enrichissent en approvisionnant
les pêcheurs; l'arrivée de nouvelles cargaisons
de matériel de pêche est régulièrement
annoncée dans les journaux locaux. Le matériel
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d'importation pour confectionner les filets est très en
demande; sur une liste de plus de 200 articles divers
disponibles chez Louis Deblois, seuls les «FILS À
SAUMON» sont inscrits en majuscules.'
La vieille firme Simonds, Hazen et White réalise
bientôt qu'on empiète sur son domaine de pêche. Les
stipulations du contrat initial avaient laissé entendre aux
propriétaires de la compagnie qu'ils possédaient un
droit de pêche exclusif dans les eaux au large de leur
propriété qui s'étendait vers le nord à partir de la rue
Union; cette zone était connue sous le nom de pointe
Portland ou North Shore. Vers 1800, les agents des
pêches nommés par la ville entreprennent de morceler
la North Shore en plusieurs lots de pêche. La compagnie
fait valoir ses droits à la Cour suprême qui appuie
ses revendications sous prétexte que la propriété
des rives est liée à celle des terres visées par la concession
initiale; en d'autres termes, toute concession foncière
inclut incontestablement le droit de pêcher dans
les eaux au large de cette concession.
Toutefois, incertaine de l'applicabilité de la décision
de la Cour suprême à sa concession, la compagnie
adresse une requête au gouverneur Guy Carleton dans
laquelle elle demande un permis d'occupation jusqu'à
la laisse des basses eaux, permis qu'elle obtient en
fêvrier 1802. Malgré la décision de la Cour et le permis
accordé ultérieurement à la compagnie, certains habitants
de la ville de Saint-Jean continuent de tendre leurs
filets sur la North Shore et même d'endommager voire
de détruire les filets de la compagnie et d'autres propriétaires.
Ils prétendent qu'en raison de la Charte de la
ville, le gouverneur n'est pas habilité à accorder de
permis tel que celui octroyé aux propriétaires de la
pointe Portland et de la North Shore. C'est alors que
deux magistrats de la ville de Saint-Jean proposent à la
compagnie Simonds, Hazen et White ainsi qu'aux autres
locataires d'alterner les filets pour régler le litige.
Rejetant cette solution et confiants de l'emporter en
Cour suprême, les habitants de Portland demandent une
interprétation officielle et précise de la décision rendue
précédemment par la Cour.
À la fin de février 1804, la Cour statue que la
pêcherie entre la laisse de basses eaux et la laisse des
hautes eaux peut être fréquentée par tous les pêcheurs.
Les concessionnaires de Portland et la firme Simonds,
Hazen et White ont perdu leur cause. À la fin de mars,
la municipalité de Saint-Jean consolide rapidement sa
victoire par l'adoption de l'ordonnance suivante stipulant
que :
toutes les personnes intéressées à pêcher dans les
mêmes bas-fonds et sur les mêmes rives (du côté nord
du havre) devront donner leur nom au garde-pêche qui
leur allouera un certain temps et une certaine place.
Seules les personnes qui auront donné leur nom et
se présenteront au moment prévu pour aider à réparer