Le saumon de l'Atlantique dans l'histoire de l'Amérique du Nord

changement d'attitude. Les rapports de Moses Perley
sur les pêcheries au Nouveau-Brunswick sont largement
diffusés et lus dans toutes les colonies; les habitants
de Nouvelle-Écosse sont particulièrement intéressés
par ses commentaires au sujet de la pêcherie de la
baie de Fundy, car ils sont témoins du déclin de leur
propre ressource dans cette région. L'étude Perley souligne
certains des problèmes, et élabore des propositions
pour améliorer la situation. Cet intérêt croissant de
la part de la province s'illustre encore par le fait que le
gouvernement reçoit, vers 1850, un certain nombre de
pétitions sous forme de doléances au sujet des abus dans
les pêcheries, et particulièrement ceux que représente
l'obstruction des rivières par les barrages de moulins.
Vu la longue liste de moulins enregistrés en 1851 —
moulins qui, pour la plupart, requièrent un bassin de
retenue avec barrage — on ne peut que s'étonner de
constater que les poissons anadromes n'ont pas déjà
complètement déserté les cours d'eau de la province
une décennie plus tôt.'
Par la suite, une loi est promulguée, qui autorise la
Cour des sessions du Comté à établir des règlements
dans le cadre d'un texte législatif, applicable à toute la
province. Un comité des pêcheries relevant de la Législature
provinciale est créé pour étudier le besoin de
nouveaux règlements et pour faire des propositions dans
ce sens. En 1851, le comité présente son rapport à
l'Assemblée; il prévoit plusieurs dispositions pour la
pêche au saumon, entre autres, une saison de fermeture
allant du 30 juillet au 1" novembre, et une loi sur les
passes migratoires, qui oblige les propriétaires de moulins
à installer une passe à travers leur barrage entre
avril et novembre. Le comité attire également l'attention
sur le peu de soin que les inspecteurs des pêches
apportent à leur relevé annuel, en précisant que ce travail
est « fait avec beaucoup de négligence »; enfin, un
bref rapport est présenté, traitant des progrès récents de
la pisciculture en Europe, et de la possibilité d'utiliser
ces techniques d'avant-garde en Nouvelle-Écosse."'
L'Assemblée législative étudie le rapport du
comité et, lors de la session de 1853, adopte une loi qui
tient compte de plusieurs propositions du comité. Premièrement,
la capture du saumon est interdite dans les
eaux des rivières du 30 juin au 1 " mars. 132 Une autre
clause stipule que les passes migratoires sont obligatoires
dans les barrages des moulins, et une disposition
de la loi prévoit l'embauche de gardes-pêche sur les
rivières, au salaire de 25 livres par année, pour faire
respecter les règlements dans chaque comté. L'Assemblée
exerce un suivi en envoyant vers 1854 une lettre
circulaire aux gardes des comtés, destinée à vérifier si
les nouveaux règlements se sont révélés efficaces.
Apparemment, ils ne l'étaient guère, car dans le comté
de Halifax seul, toutes les rivières recensées, sauf cinq,
étaient obstruées.
À cette époque, la Législature collabore avec le
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capitaine William Chearnley, pêcheur sportif passionné,
qui connaît bien nombre de rivières de la province
depuis les années 1830, et qui est un ardent défenseur
de la gestion des pêches. Il connaît également bien le
saumon, et crée en 1853 à Halifax une association provinciale
pour la protection des pêches à l'intérieur des
terres, et de la chasse en Nouvelle-Écosse, connue sous
le nom de « Fisheries Protection Society ». Cette société
exerce une forte influence sur le gouvernment, et sensibilise
le public en général sur la nécessité de protéger
les pêches. La société s'efforce de régénérer les cours
d'eau de la province, en y consacrant argent et maind'oeuvre.
De plus, l'association publie cles documents
sur les pêches, et dans le comté de Halifax, où son
influence est la plus forte, la société paie elle-même un
certain nombre d'inspecteurs chargés de faire respecter
les lois sur les pêches — lois que la société a aidé à
élaborer, mais que la Législature néglige quelque peu à
faire appliquer.'
Chearnley devient le premier président élu de l'association.
11 est également nommé superviseur des pêches
à l'intérieur des terres pour le comté de Halifax,
mais il semble que son influence déborde largement des
limites du comté car, comme Perley au Nouveau-
Brunswick, on lui demande conseil dans toute la colonie
en matière de protection des pêcheries. Ses rapports
à la Législature décrivent nombre de rivières de la province,
complètement obstruées par des barrages.
D'après cette information sommaire seule, on peut dire
que la quantité de poissons anadromes a gravement
chuté, comparativement à son potentiel initial, la baisse
pouvant être évaluée à 70-80% environ. Chearnley se
préoccupe particulièrement de l'utilisation à grande
échelle de filets à petites mailles et d'autres dispositifs
pour capturer aussi bien les jeunes saumons que les
adultes; il découvre également que des cours d'eau sont
barrés sur toute leur largeur par des filets et des barrières,
destinés à ne laisser passer aucun poisson pénétrant
dans les eaux douces. La sciure, les dosses et
autres rejets provenant des moulins recouvrent les lits
des cours d'eau, et parfois des tas de résidus atteignant
20 pieds de hauteur jonchent les rivières.'
Malheureusement, les mesures initiales prises par
la Législature en 1853 en faveur d'une gestion plus
efficace des pêches, ne furent pas suivies de la persévérance
requise pour accomplir des progrès substantiels,
et ce dans la plupart des régions de la province; la
population de saumons continue donc à décliner. En
1854, le Comité des pêcheries signale que la production
de saumon est tombée à son niveau le plus bas depuis
le début du commerce du bois au début des années
1860," et un rapport général de l'époque sur la pêche
au saumon en Amérique du Nord britannique parle ainsi
de la Nouvelle-Écosse : «Le saumon a pratiquement
disparu dans certaines régions de la colonie, et il
n'abonde plus clans aucune rivière ni cours d'eau ».136