Le saumon de l'Atlantique dans l'histoire de l'Amérique du Nord

et à construire les barrages pourront capturer des
poissons."
Les propriétaires de Portland décident, toutefois,
d'ignorer l'ordonnance de la ville et continuent à tendre
leurs propres filets à saumon et à ériger des barrages de
fascines. C'en est trop pour les pêcheurs de Saint-Jean,
et une bande de déchaînés descendent sur la rive, menacent
et assaillent les pêcheurs de Portland, s'emparent
de leurs filets et les brûlent, et se saisissent de
leurs lots. Au printemps de l'année suivante, en 1805,
ces assauts se répètent lorsque les pêcheurs de Portland
essayent encore d'installer leur matériel de pêche. À
une occasion, plus de cent habitants de Saint-Jean s'emparent
de la majorité des poissons pris dans les barrages
de fascines de la Simonds, Hazen et White; en 1806, ils
ont pratiquement repris le contrôle de la pêcherie de
Portland.
Malgré leur frustration, certains propriétaires de
Portland finissent par s'entendre avec les habitants de
Saint-Jean, mais les propriétaires de la vieille firme
continuent inlassablement à revendiquer leurs droits.
La compagnie adresse une nouvelle requête au gouverneur.
Cette fois-ci, leurs efforts sont récompensés :
l'Assemblée législative adopte une loi annexant la pêcherie
au terrain, rétablissant ainsi les droits de la compagnie.
Furieuse, la municipalité dépêche immédiatement
une délégation à Londres, armée de la Charte de
la ville et rien de moins que la Magna Carta pour défendre
sa cause. Cartlereagh, le secrétaire britannique,
ordonne au gouvernement du Nouveau-Brunswick de
suspendre l'application de la loi en litige jusqu'à ce que
tous les faits soient soigneusement étudiés; au début de
1808, le gouvernement britannique invalide officiellement
la loi. La bataille est terminée, et la vieille
garde — Simonds, Hazen et White — a bel et bien
perdu.'
Dès 1808, le rendement des pêcheries de saumons
de Saint-Jean est bien supérieur à la demande locale;
des rapports de la marine pour les années 1808 à 1810
indiquent qu'une quantité énorme de saumon saumuré
a été exportée à destination des colonies des Antilles :
la Jamaïque, Tobago, la Barbade, la République dominicaine,
Sainte-Lucie, Tortola, Sainte-Croix, la Dominique,
Saint-Vincent et Nevis apparaissent régulièrement
sur le registre. Du poisson est aussi exporté à
New York, mais cette ville préfère apparemment le
saumon fumé; des cargaisons de 1 000 à 2 000 poissons
fumés y sont expédiées de façon plus ou moins régulière.
La ville de Boston reçoit également chaque
année, de Saint-Jean, une petite quantité de poisson à
Halifax et dans les autres ports à proximité. Le commerce
du poisson saumuré culmine habituellement à
l'automne et en hiver, tandis que celui du poisson fumé
est plus fréquent en été. 57
La pêche au saumon est aussi fructueuse dans la
rivière Saint-Jean et ses affluents, mais le harpon fait
une vive concurrence au filet et au barrage de fascines
comme principal moyen de capture. Le saumon est
harponné durant la nuit dans la rivière Kennebecasis, et
même au début du XIXe siècle, le saumon est harponné
et pris au filet dans la région de Sussex, puis transporté
par barge jusqu'à Saint-Jean pour y être vendu." Les
saumons remontent la rivière Kennebecasis bien en
amont de Portage Vale où, dès 1811, ils étaient servis,
tout comme les truites, aux voyageurs qui font le portage
entre les rivières Kennebecasis et Petitcodiac. Du
côté de Petitcodiac, on trouve aussi du saumon, mais
comme le rapporte un observateur :
Pour une raison inconnue, aucun saumon n'avait
jamais fréquenté une petite rivière appelée Poulet
(Pollett), qui se jette dans la Petitcodiac jusqu'à ce que
l'un des habitants en apporte quelques-uns et les y jette;
depuis lors, la rivière abonde en saumons comme n'importe
quelle autre rivière. 59
Précédemment, en 1791, Patrick Campbell faisait
le commentaire suivant à propos de la pêche dans la
rivière Nashwaak :
La pêche au saumon dans cette rivière est très bonne. . .
Le capitaine Lyman m'a dit qu'il connaissait deux
Français qui, à bord d'un seul canot au mois de juillet,
ont harponné 96 saumons, en une nuit, à la seule lumière
d'une torche. L'un de ces hommes lui a avoué
que ce n'était rien par rapport à ce qu'il avait déjà vu
: à la même époque de l'année, trois canots à bord de
l'un desquels il se trouvait, avaient harponné 700 saumons
en une seule nuit.'
Il est facile pour les premiers colons de s'approvisionner
en saumons, surtout à l'automne, car ils
harponnent sans difficulté les poissons à leur entrée
dans les petits tributaires. La pêche vise principalement
à remplir le garde-manger familial pour l'hiver, mais
elle deviendra une activité sportive, et bon nombre de
pêcheurs se feront gloire d'étaler leur grande habileté et
leur adresse, surtout en canot. Plus tard, Campbell
écrira : «Un homme qui pêche en canot est considéré
comme un pêcheur minable si, en harponnant un saumon,
il se mouille et revient à terre avec le poisson ». 6 '
RIVIÈRE SAINTE-CROIX
Après l'installation de William Owens dans l'île
Campobello dans les années 1770, d'autres colons,
marchands et pêcheurs viennent sporadiquement dans
la région de Passamaquoddy. Ce n'est toutefois
qu'après l'arrivée des Loyalistes que les populations de
poissons anadromes de nombreux cours d'eau poissonneux
du comté de Charlotte sont sérieusement menacées.
Les nouveaux colons attachent une très grande
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