Le saumon de l'Atlantique dans l'histoire de l'Amérique du Nord

angs de l'entreprise. Dans son livre, intitulé Hudson
Bay, Ballantyne décrit une visite en 1846 de la pêcherie
à saumon de la compagnie sur la rivière Moisie, où
entre 80 et 90 tierces de saumon sont salées chaque
année :
En quatre heures environ, nous sommes arrivés à l'embouchure
de la Moisie, où se trouve la première pêcherie.
Nos hommes y avaient capturé et salé un grand
nombre de saumons, dont certains, sortis tout juste des
filets, étaient allongés sur l'herbe, dodus et brillants
dans leur pureté primitive... Nous en avons mis un
immédiatement dans le chaudron.. . Les saumons venaient
à peine de commencer à remonter la rivière ce
jour-là, et on en prenait des cinquantaines d'un coup
dans les filets. Trois hommes maintenaient en permanence
sept ou huit filets dans l'eau, ce qui les occupait
à plein temps — deux d'entre eux surveillaient les
filets, pendant que le troisième tranchait, salait et
plaçait le poisson dans de grandes cuves. 202
À cette époque, la rivière Moisie est considérée comme
une des meilleures pêcheries à saumon de la côte. Lorsque
Ballantyne visite la région en 1846, seuls quelques
hommes de la Compagnie de la baie d'Hudson y pratiquent
la pêche; mais, au début des années 1850, des
droits de pêche sont accordés à d'autres postulants, et il
en résulte une activité beaucoup plus grande.'
Les véritables débuts à l'échelle commerciale de la
Compagnie de la baie d'Hudson dans la pêcherie au
saumon du Labrador sont dus à l'initiative de l'homme
à la barbe blanche que l'on peut voir sur la fameuse
photographie où il est en train d'installer le dernier
crampon du chemin de fer du Canadien Pacifique. En
1843, le poste de la CBH à Mingan est confié à Donald
Smith. Peut-être pour le remercier, il envoie au gouverneur
de la compagnie, George Simpson, un cadeau de
« saumons et canneberges du Labrador». C'est après
son transfert en 1848 à la baie des Esquimaux, que
Smith commence à développer la pêcherie au saumon
de la compagnie au Labrador, avec la bénédiction de
Simpson.
Smith sait que le saumon du Labrador a toujours
atteint un prix régulier et intéressant en Europe, particulièrement
sur les marchés de Londres. Comme le
commerce des fourrures n'est pas très actif à la fin du
printemps et au début de l'été, Smith réussit à convaincre
ses supérieurs que les employés de la compagnie
pourraient être judicieusement utilisés pendant
cette période — ce qui donnerait des profits considérables
— à la pêche au saumon. Ayant obtenu le feu vert,
Smith s'active à constituer une pêcherie pour la compagnie,
et il participe souvent directement aux travaux
physiques nécessaires à l'entreprise. 204
Les activités de pêche de la compagnie se développent
et s'étendent très vite le long de la côte à partir de
l'embouchure de la rivière Saguenay jusqu'au nord du
Labrador. En plus de poursuivre leurs activités aux
anciennes stations et aux Postes du Roi, dont elle a
hérité de la Compagnie du Nord-Ouest en 1821, la
Compagnie de la baie d'Hudson étend saisonnièrement
ses opérations à un grand nombre d'embouchures de
rivières non habitées. La compagnie utilise une fl otte de
petites goélettes pour pêcher, approvisionner les établissements
côtiers, et ramasser la production des divers
postes. 2"
Vers la fin des années 1840, les activités de la
pêche au saumon de la compagnie ont progressé de
façon phénoménale, peut-être au point où plus de
500 000 livres de poisson sont prise chaque année dans
l'ensemble de la partie septentrionale du gnife. 206 un
1848 révèle que les exporta-
rapport de statistiques de
tions totales de saumons au départ des « villes de Québec,
Gaspé et New Carlisle » s'établissent à 70 tierces
et 28 barils, soit environ 26 000 livres.' Il est clair que
ces chiffres ne reflètent pas la situation réelle de la
pêcherie au saumon du Bas-Canada à cette époque, car
aucune mention n'est faite de la production du Labrador
comme telle. Il n'y a pas que la Compagnie de la baie
d'Hudson qui profite ainsi de la côte nord du golfe du
Saint-Laurent à la fin des années 1840, car d'autres
groupes des États-Unis et de la Nouvelle-Écosse pratiquent
également une pêche fructueuse aux embouchures
des rivières côtières.' Vers 1850, les stocks
sont rapidement en train d'être épuisés, et en 1853 un
rapport sur la pêcherie signale que beaucoup d'anciennes
stations très productrices ont été abandonnées.
« Des cours d'eau qui, un demi-siècle plus tôt, suffisaient
non seulement pour la consommation locale,
mais permettaient l'exportation de milliers de barils,
aujourd'hui ne produisent plus que quelques centaines
de barils, et la quantité de poisson diminue toujours,
rapidement ». 2"
La pêche est devenue si excessive, incontrôlée et
destructrice, qu'on envisage enfin une réglementation.
C'est à cette époque que Sir Edmund Head est nommé
gouverneur du Canada à Québec, poste qu'il occupe de
1854 à 1861. Il a l'intention de refaire ce qu'il a accompli
pour les pêcheries du Nouveau-Brunswick, où il
était gouverneur juste avant sa nomination à Québec.
Pour enquêter sur les pêcheries du Bas-Canada, Head
fait appel aux services de Richard Nettle, un ardent
pêcheur à la ligne de la région, très connu et partisan
d'une réforme pour les pêcheries. Nettle est né à
Devonshire, en Angleterre, où il a fait connaissance
avec le saumon, passant une grande partie de ses loisirs
une canne à pêche à la main et une mouche au bout. Il
émigre au Canada vers 1842, et, à la vue des cours
d'eau du Québec regorgeant de saumon, son enthousiasme
pour la pêche à la ligne s'enflamme encore davantage.
Pour s'adapter aux conditions canadiennes, il
met au point sa propre mouche, que d'autres pêcheurs
à la ligne finissent pas adopter et à laquelle on donnera
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