Le saumon de l'Atlantique dans l'histoire de l'Amérique du Nord

À côté de la Restigouche, la pêcherie de la Nepisiguit
est l'une des plus productives du côté de la baie des
Chaleurs situé au Nouveau-Brunswick, les prises et les
exportations se situant entre un quart et un demi de
celles de la première. Mais on y constate le même
déclin, les exportations passant de 216 barils en 1846 à
156 barils en 1848." Pourtant, dans les années 1860,
cette pêcherie semble se comporter beaucoup mieux
que celle de la Restigouche, peut-être en raison du fait
qu'on préfère la pêcherie côtière à celle de la rivière.
Il y a des postes de pêche au saumon dans la région
de la Nepisiguit, à partir des limites du Comté de Restigouche
jusqu'à New Bandon, Janeville ou Salmon
Beach. Au début des années 1850, Monro signale que
« la pêcherie de saumons à Janeville. . . peut difficilement
être surpassée »." À cette époque, d'importantes
quantités de poisson sont expédiées en boîtes métalliques
vers les États-Unis et les îles britanniques. En
1867, il y a au moins quatre conserveries de saumons
dans la région pour les 45 postes de pêche licenciés de
la baie de Nepisiguit; elles envoient leurs produits par
la ligne de chemin de fer Shediac-St. Andrews vers les
États-Unis.'
Malheureusement, la pêcherie de la Nepisiguit est
atteinte du même mal que celle de la Restigouche : les
lois sont ignorées et violées, et le braconnage est florissant.
Perley note que la pêche illégale sévit de toutes les
façons possibles dans la rivière Nepisiguit depuis la
limite de la marée jusqu'à Grand Falls; il est tellement
outré par les abus dont il est personnellement témoin
qu'il écrit en 1849 au greffier de la paix de Bathurst, lui
demandant de prendre immédiatement des mesures. La
Cour des Sessions du Comté dépêche immédiatement
un détachement en amont de la rivière; à leur retour, les
agents sont en possession de 12 douzaines de saumons
— mais, pas de braconniers. La Cour fait part à
Perley de ce qui suit :
Les autorités ici ont toujours été conscientes de la
nécessité de préserver les pêcheries de saumon de la
Nepisiguit; mais, en raison du manque de moyens
financiers, et peut-être de lacunes dans la loi, les
ordonnances et règlements sont soit ouvertement
violés, soit contournés. 52
Ces règlements sont assez complets et ils sont
adoptés à la séance de juillet 1848 de la Cour des Sessions
du Comté : toute liêçhe au filet doit cesser le 31
juillet; aucun filet ne doit être jeté à Bathurst Harbour;
les filets en amont doivent être installés à partir de la
rive; la maille ne doit pas être inférieure à 5.5 pouces;
tous les filets doivent être marqués du nom de leur
propriétaire; aucun saumon ne doit être pêché à la
pointe au-dessus de la limite de la marée dans les
rivières Middle, Tetagouche et Nepisiguit." Mais, la
situation ne s'améliore pas, en dépit des règlements, et
Campbell Hardy signale en 1855, par exemple, que la
pêche au filet, bien qu'illégale dans l'eau douce de la
rivière, se pratique toujours à un rythme « effrayant ».'
La violation de la loi atteint peut-être un sommet lors
d'un incident qui, bien que non confirmé, se serait
produit aux alentours de 1860 dans la section tidale de
la Nepisiguit :
Il y a plusieurs années, pendant que j'étais au Nouveau-
Brunswick, le propriétaire d'un filet à Bathurst est
poursuivi en justice par un garde qui l'accuse d'avoir
un filet à maille de dimensions illégales. Mais, le délinquant
écrit à un ami, député de l'Assemblée législative
du Nouveau-Brunswick, et représentant son comté.
L'Honorable député fait alors simplement modifier la
loi, de façon à rendre légale la maille du filet; de plus,
il réussit à donner à la loi un caractère rétroactif, et à
faire suspendre dans l'intervalle toutes les procédures
judiciaires déjà entamées. 55
La protection du saumon dans la Nepisiguit s'améliore
quelque peu vers la fin des années 1860, grâce aux
efforts de l'inspecteur des pêches James Hickson, de
John Ferguson, et d'un groupe d'ardents pêcheurs à la
ligne. On dit que chez Hickson « la protection du poisson
prenait presque la forme d'une passion », et il aurait
déplacé des montagnes — sans oublier les braconniers
— pour protéger l'espèce. Ferguson, grand homme
d'affaires du nord du Nouveau-Brunswick, passe
alors pour le seul propriétaire de moulin de la province
qui reconnaît la valeur du saumon; il construit et entretient
à ses frais une passe migratoire pour les saumons
à son barrage de la rivière Tetagouche. Ferguson, avec
J. Dewolf Spurr, qui a obtenu un bail poué la pêche
sportive dans la Nepisiguit, décident également de faire
surveiller la rivière par un garde privé et de mettre ainsi
un frein à toutes les activités illégales.'
La pêche sportive dans la rivière est bien établie en
1849, année où Perley parle des pêcheurs à la ligne au
saumon, en précisant que Grand Falls est l'un des meilleurs
endroits pour pêcher à la mouche, mais qu'il existe
de nombreuses autres fosses tout aussi poissonneuses
entre cet endroit et la limite de l'eau salée. En 1853,
Campbell Hardy parle d'un vieux semi-ermite qui s'est
retranché près de Papineau Falls, à 7 milles de Bathurst,
et qu'on appelle l'Izaak Walton de la Nepisiguit. On
affirme que le saumon pris dans la rivière à cette époque
pèse en moyenne de 8 à 12 livres, mais que parfois des
poissons de 18 livres sont capturés. Avec le développement
de la pêche sportive, certains des habitants de
l'endroit deviennent des guides très connus, et Hardy en
parle ainsi :
Ces hommes sont certainement les plus habiles que j'ai
jamais vus pour manier un canot et, même si en cachet-
te ils n'hésitent pas à darder furtivement un saumon, ils
139