Le saumon de l'Atlantique dans l'histoire de l'Amérique du Nord

vivent habituellement »." Il ne précise ni le type ni le
modèle véritable du filet, mais il s'agit sans doute d'un
engin assez perfectionné et délicat puisqu'il est fait de
chanvre. Puisque les autochtones de la côte atlantique
emploient du chanvre fibreux ou un matériau de ce
genre, il est aussi fort possible qu'ils aient couramment
recours à des filets maillants pour capturer le poisson.
Champlain mentionne également que les Indiens fabriquent
des filets en chanvre indigène et compare celui-ci
au chanvre qui croît en France; '°° un autre observateur
signale que le fil des filets est « si doux et lisse qu'il
ressemble davantage à de la soie qu'à du chanvre ».
D'après d'autres documents, dans certains cas, le
« chanvre » est peut-être, en réalité, de l'écorce du bois
d'original (Acer pensylvanicion), d'ortie, de tilleul
d'Amérique ou d'apocyn.'
En 1634, William Wood observe aussi que les
Indiens du Massachusetts « . . . fabriquent des filets à
esturgeons très résistants de 30 à 40 pieds de longueur;
ils installent de longues sennes pour barrer le passage
aux poissons »." Les autochtones tendent, semble-t-il,
ces filets de sorte qu'ils ne soient pas obligés de les
surveiller continuellement, car ils ne s'y rendent que
périodiquement. La même année, Roger Williams signale
que les tribus de la rivière Narragansett se servent
également de filets à esturgeon. Les premiers missionnaires
jésuites qui se rendent parmi les Montagnais
dans le Bas St-Laurent mentionnent que les Indiens
utilisent leurs propres filets ainsi que des filets de fabrication
française; et ce simple commentaire révèle peutêtre
que les filets sont d'origine différente mais sont
fabriqués de façon similaire." II semble donc à propos
de conclure ces témoignages en citant les paroles de
Erhart Rostlund : « Dans les temps anciens, les Indiens
utilisent non seulement divers petits salabres mais aussi
des sennes, des filets maillants et des filets traînés de
grande dimension; toutefois, certains types de filet ne
sont pas employés par toutes les tribus ».
On peut, certes, douter que les autochtones
d'Amérique du Nord se livrent à cette époque à l'art de
la pêche à la ligne; cependant, d'après certains documents,
ils capturent le poisson au moyen de lignes rudimentaires.
Lorsque John Guy fonde sa colonie à Terre-
Neuve en 1612, il trouve un « moulinet » fabriqué par
les Indiens dans un campement autochtone situé près de
sa colonie."' Il s'agit probablement d'un morceau de
bois ou d'os autour duquel les Indiens enroulent leur
ligne pour pêcher à l'hameçon droit. La pêche à
l'hameçon droit (gorge en anglais) est connue dans
toutes les régions du monde dans les temps anciens; il
s'agit d'une forme primitive de la pêche à la ligne de
laquelle est sans doute issu ce sport européen.
En Amérique, la pêche à l'hameçon droit consiste
à utiliser une petite pièce de bois ou d'os allongée dont
les deux extrémités sont pointues et dans laquelle un
trou est percé près de son centre; le pêcheur passe une
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ligne dans le trou et le noue, puis la ligne est jetée et
n'est récupérée que lorsque le poisson a mordu à
l'hameçon.' Les autochtones fabriquent aussi des
hameçons plus classiques, dont certains sont munis de
barbes ou ardillons rudimentaires. Champlain fait la
description de l'un de ces hameçons qu'emploient les
Indiens de la Nouvelle-Écosse pour prendre la morue :
Ils capturent la morue au moyen d'hameçons faits de
morceaux de bois auxquels est fixé solidement un os
qui a la forme d'une lance. À l'hameçon en forme de
crochet est attachée une ligne faite d'une écorce d'arbre.
Ils m'ont donné un de ces hameçons que j'ai conservé
à cause de sa singularité. L'os y avait été fixé
avec du fil de chanvre. 08
Les Indiens ne pêchent en eau profonde qu'au
moyen d'hameçons droits. Même s'ils ne s'en servent
pas précisément pour la pêche du saumon, ils permettent
parfois de capturer du saumon et des truites.'"
L'avidité remplace la nécessité
Au moins un chercheur, Gordon W. Hewes, prétend
que les Amérindiens exploitent suffisamment le
saumon en certains emplacements pour réduire les
stocks d'origine;" ° pourtant, on reconnaît généralement
que la pêche des autochtones d'Amérique du Nord n'a
pas encore à cette époque d'effet préjudiciable sur les
ressources halieutiques dans leur ensemble. Certains
croient même que les Indiens favorisent la prolifération
des stocks en pratiquant, par inadvertance et sans s'en
rendre compte une bonne gestion des pêches. Par exemple,
en utilisant des harpons, ils empêchent peut-être en
réalité la destruction des oeufs de saumon et des lits de
graviers qui lui servent de frayères en prévenant le
surpeuplement de celles-ci. Quoi qu'il en soit, les Indiens
ne sont pas indifférents à leur environnement ni
voraces dans la façon d'utiliser les ressources qu'il leur
offre. Cependant, la situation n'est plus la même à
l'arrivée des Européens, qui remplacent l'économie de
subsistance des autochtones par une économie basée sur
le commerce. En conséquence, la modération avec laquelle
les Indiens exploitent les ressources halieutiques
pour subvenir aux besoins de la famille est sacrifiée au
bénéfice de l'avarice des Blancs qui enrichissent les
villes d'Europe et d'Amérique.
NOTES
'Charles Hallock, The Fishing Tourist (New York :
Harper, 1873), p. 231.
2G. Brown Goode, éd., The Fisheries and Fishing Industries
of the United States (Washington: U.S. Commission
of Fish and Fisheries, 1884), I, 469.
'Dès 1770, on tente de constituer des stocks de saumon
de l'Atlantique dans le fleuve Hudson ou d'en rétablir les
stocks; voir Anthony Nctboy, The Atlantic Salmon, A Van-