Le saumon de l'Atlantique dans l'histoire de l'Amérique du Nord

Lorsqu'on examine la documentation de l'époque
faisant la promotion des ressources de la colonie, on a
vraiment l'impression que la pêche au saumon est prospère,
comme le montre l'exemple suivant :
Le saumon, la truite commune et la truite brune (Salim,
trima) abondent dans presque tous les cours d'eau, au
grand plaisir des pêcheurs sportifs; en outre, les poissons
de la dernière espèce sont si nombreux et d'une
qualité si fine qu'ils offrent des perspectives commerciales
certaines.' 37
Mais, ces rapports très favorables, faisant l'éloge de la
colonie, sont destinés aux immigrants et aux touristes;
les habitants déjà installés dans la région ont beaucoup
de difficulté à croire les descriptions présentées par ces
rapports. Les chiffres pour l'exportation doivent eux
aussi servir à créer une fausse impression sur les ressources
en saumon. Par exemple, les données statistiques
fournies par Lorenzo Sabine pour les années 1845
à 1850, indiquent qu'en moyenne près de deux millions
de livres de saumon ont été exportées chaque année par
la province.'" Or, on sait qu'une fraction importante de
ces totaux comprend les prises faites par des habitants
de Nouvelle-Écosse à Terre-Neuve et au Labrador, ou
provenant d'autres colonies et transitant par la
Nouvelle-Écosse vers les marchés extérieurs; ces importations
atteignent 50 % des exportations totales en
1845, 70% en 1846, et 61 % en I847.'
Les exportations moyennes de saumon capturé localement
peuvent être évaluées à environ un million de
livres. Si l'on ajoute à ce montant la quantité capturée
et consommée localement, les prises totales pour la
Nouvelle-Écosse pendant cette période se situent probablement
entre 1 et 1.5 million de livres par année.
Comparativement aux chiffres de production actuels,
cela ne représente pas un déclin des stocks, mais la
situation dans les années 1850 était jugée par rapport au
passé, et pour les gens de cette période, l'état des pêches
avait de quoi inquiéter. D'après les chiffres de
production de 1851 pour les divers comtés, il est manifeste
que le saumon est en train de disparaître dans
beaucoup de régions de la Nouvelle-Écosse, et ce déclin
semble progresser le long de la côte de l'Atlantique
d'ouest en est. Les meilleures pêcheries sont maintenant
concentrées dans le tiers oriental de la province, là
où la pêche côtière représente la ressource principale;
un peu plus de 45 % des prises totales de la province
proviennent des comtés d'Antigonish et de Guysborough,
un autre tiers étant fourni par l'île du Cap-
Breton. Comme les chiffres sont incomplets pour la
période allant de 1852 à 1855, nous ne pouvons que
supposer que le déclin continu dont font état les rapports
verbaux se retrouvent également dans les dossiers statistiques;
l'information pour la période de 1856 à la
Confédération montre qu'il y a pratiquement toujours
une tendance à la baisse. ' 4°
En 1858, la province décide de ne plus payer les
gardes-pêche des comtés, et elle confie l'entière responsabilité
du contrôle des pêches dans les rivières aux
divers comtés. À partir de cette année jusqu'en 1863,
les débats de la Chambre d'Assemblée, reproduits dans
les Journals, ne parlent presque jamais des pêcheries
provinciales. Mais, si on en est arrivé là, ce n'est pas
seulement de la faute du gouvernement. La province est
en pleine période d'expansion et de croissance commerciale,
et le Traité de Réciprocité pousse les habitants de
Nouvelle-Écosse à faire le maximum de profits pendant
que la situation est favorable. Presque 40 % des revenus
de la colonie proviennent de la pêche, et l'exploitation
de la ressource devient donc inévitable. De plus, de
nombreux secteurs comme les écoles, les routes, la
navigation, etc., ont besoin des maigres revenus de la
colonie; en outre, comme la charge administrative est
trop grande à l'échelle provinciale, toute responsabilité
qui peut être déléguée aux comtés leur est confiée sans
tarder. Et les pêches vont ainsi continuer à subir des
préjudices. 141
La situation financière des comtés est alors pire
que celle de la province, et les fonds qui peuvent être
consacrés à la protection des pêcheries sont maigres.
Les gardes-pêche sont dépassés par l'étendue de leur
charge, ou alors ils négligent leur travail; souvent, ils ne
sont même pas payés, et il existe quelques rares cas où
ils accomplissent leur devoir à leurs propres frais. Dans
beaucoup de régions, les propriétaires des barrages de
moulins — qui causent, de l'avis général, le plus de tort
aux pêcheries des rivières, — sont souvent eux-mêmes
l'autorité responsable, et il y a donc peu d'améliorations
à espérer dans ce secteur. Les lois sont généralement
ignorées par tous.'"
À cette époque, les cas de destruction de stocks
entiers de poissons sont fréquents. Par exemple, Moses
Perley, qui visite la région de la rivière Margaree en
1860 en tant que commissaire aux pêches pour le gouvernement
britannique, signale que la négligence du
garde-pêche du bras sud-ouest de la rivière est scandaleuse,
et que l'agent, au lieu d'être payé pour son
travail, devrait être jeté en prison. Sur la LaHave, on
raconte qu'un fermier entreprenant a installé, à l'extrémité
d'un canal de moulin, des pièges à anguilles « dans
lesquels des barils entiers de jeunes saumons [tacons]
sont détruits et donnés en nourriture aux cochons
Les conditions sont déplorables dans beaucoup d'autres
régions, et la destruction totale du saumon semble
constituer , l'objectif principal des habitants de
Nouvelle-Éc osse. À l'époque, quelqu'un écrit : «On
extermine partout par pur plaisir; c'est comme si un
tonnerre d'applaudissements allait saluer l'homme qui
aurait tué le dernier saumon
Ces nombreux cas de mépris total des pêches et de
leurs lois ne pouvaient se répéter indéfiniment sans
attirer l'attention de la Législature. En 1864, il y a
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