Le saumon de l'Atlantique dans l'histoire de l'Amérique du Nord

CHAPITRE
Iv
La pêche aux
débuts de la colonie
1604-1713
Acadie arcadienne
Un jour de l'été 1604, un navire aux armes de la
France s'engage dans la baie de Passamaquoddy après
avoir longé les côtes de la baie Française (baie de
Fundy). C'est l'expédition de Pierre du Gua, sieur de
Monts, qui avec la faveur du Roi est à la recherche d'un
emplacement pour y fonder une colonie permanente au
Nouveau Monde. M. de Monts est accompagné de deux
hommes, Samuel de Champlain et Jean de Biencourt,
sieur de Poutrincourt, tous deux ayant laissé des descriptions
détaillées de ces premiers efforts de colonisation
et des ressources que recelait le pays.
Champlain, qui à l'époque accomplit son troisième
voyage en Amérique, est impressionné par la
beauté, les avantages et les promesses de l'immense
étendue d'eau dans laquelle il vient de pénétrer, et note
que « il y a une multitude de bons endroits pouvant
contenir tous les navires possibles et où abonde le
poisson en saison, comme la morue, le saumon, le bar,
le hareng, l'aiglefin et un grand nombre d'autres
espèces Poutrincourt déclare ensuite qu'ils ont
trouvé dans la baie du hareng en quantités si considérables
qu'on pourrait en nourrir une ville entière,'
sans parler des autres poissons tout aussi abondants en
saison.
De Monts, ayant décidé d'ériger la colonie sur les
rivages de cette baie, débarque sur l'île Sainte-Croix
(île Dochet), petit môle de terre surgissant de l'estuaire
Sainte-Croix à environ cinq milles en amont de l'actuelle
ville de St. Andrews. Le premier hiver passé sur
l'île représente une période de misère et de privation
pour les 79 habitants; bien que les historiens s'accordent
généralement à dire que l'hiver de 1604-1605
a été particulièrement rigoureux dans la région, la situation
lamentable de de Monts et de ses hommes
n'aurait guère été meilleure même si la saison avait été
plus clémente, ceux-ci étant mal préparés à supporter la
grande différence qu'il y avait entre survivre dans un
Canada primitif et vivre dans un pays civilisé comme la
France. Lorsque le printemps arrive, 39 hommes sont
déjà morts, soit la moitié de la population blanche
d'Amérique.'
La réduction saisonnière de la main-d'oeuvre
causée par la « maladie de l'hiver» devait empoisonner
les premières colonies du Nouveau-Monde pendant de
nombreuses années à venir. Ironie du sort, le poisson —
principal motif de la fondation d'un grand nombre des
nouvelles colonies et espoir sur lequel reposaient leur
survie et leur prospérité — est tenu largement responsable
de la mort prématurée d'un si grand nombre de
nouveaux habitants. Lescarbot écrit que :
Se nourrir constamment de poisson dont la chair n'est
pas bonne et ferme ou des crustacés sans pain est dangereux
et cause la dysentrie, comme nous avons pu
l'observer chez certains sauvages qui en sont morts.
Cet état de fait peut également être prouvé par la mort
de vingt des hommes du sieur de Monts la première
année où ils ont hiverné à Kébec, tant parce qu'ils ont
changé d'habitation que parce qu'ils ont mangé trop
d'anguilles et d'autres poissons. 4
Bien entendu, ce n'est pas forcément la consommation
d'anguille, de saumon et d'autres espèces qui provoque
un taux de mortalité aussi élevé chez les hommes de
Champlain ou de Monts, ni même la consommation de
poisson gâté. La malnutrition et une carence en vitamine
C sont plus souvent qu'autrement la cause de la
maladie et la mortalité chez les premiers Européens en
Amérique — c'est-à-dire non pas ce qu'ils mangent
mais plutôt ce qui leur manque.
Au printemps de 1605, de Monts déménage la
colonie qu'il a construite et la main-d'oeuvre qui lui
reste pour les transporter de l'autre côté de la baie de
Fundy et y installer l'habitation à Port-Royal sur les
rives du bassin d'Anapolis où la colonie finit par croître
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