Le saumon de l'Atlantique dans l'histoire de l'Amérique du Nord

CHAPITRE
Ix
Récriminations
et réglementation
1845-1867
Ça ne vaut pas une senne...
En 1846, un accord conclu entrela Colombie-
Britannique et l'Orégon au sujet d'un litige frontalier
cède le bassin inférieur du fleuve Columbia, principale
zone contestée, aux États-Unis d'Amérique. À la même
époque, une histoire circule chez les habitants britanniques
de la côte ouest, voulant que la Grande-Bretagne
ait renoncé au district parce qu'il était impossible de
pêcher à la ligne le saumon du fleuve Columbia. La
petite histoire raconte qu'un frère de Sir Robert Peel, le
premier Ministre britannique, alors en service à la base
navale de Victoria, aurait, après plusieurs tentatives
infructueuses de pêche à la mouche dans le fleuve
Columbia, écrit au premier Ministre en se plaignant que
les saunions de la côte étaient trop mal élevés pour
attraper la mouche et que, par conséquent, « il n'y a
avait pas de quoi fouetter un chat, car la région ne valait
pas une senne. . . (not worth a. .)».' Les archives ne
mentionnent aucun cas où le saumon de l'Atlantique —
du moins sur ce continent — aurait joué un rôle analogue
lors de la perte ou de l'acquisition de territoire
national; dans les colonies du nord de l'Atlantique,
c'est la morue qui se distingue de la sorte, car pendant
des siècles elle occupe une place prépondérante lors des
conflits entre la France et l'Angleterre.
Il est, cependant, certain, qu'après 1840, on s'intéresse
de plus en plus au saumon; à partir du milieu de
cette décennie, l'espèce est de plus en plus présente
dans les débats des corps législatifs des États et des
Colonies, ainsi que dans les accords internationaux sur
le commerce et certains privilèges. Ce regain d'intérêt
pour le saumon s'explique par le fait que certaines personnes
sont maintenant convaincues que le nombre de
saumons a diminué dans plusieurs régions, et que
l'espèce est devenue rare ou a même disparu dans
d'autres régions où autrefois elle abondait. Le saumon
est alors sensiblement en déclin même dans des zones
normalement très productrices, comme la baie de
Miramichi et la baie des Chaleurs. L'exportation cornmerciale
de l'espèce à partir des colonies britanniques
côtières allait en augmentant depuis le milieu des
années 1820; malheureusement, cette augmentation se
fait aux dépens d'une diminution rapide du stock reproducteur,
et on risque d'atteindre le point où il n'y a
plus assez d'adultes pour maintenir la population à un
niveau productif.
Dans les années 1840, de nombreux rapports font
état de la destruction massives de saunions, jeunes et
adultes, sur les frayères, et en aval des barrages de
moulins, toujours plus nombreux, construits sur les rivières;
ces barrages empêchent également les saumons
de rejoindre leur habitat en eau douce, d'où un rétrécissement
de l'aire de reproduction autrefois accessible.
La pêche au filet est pratiquée sous restrictions
dans toute la zone géographique de l'espèce, les filets
étant souvent tendus sur toute la largeur des rivières et
des estuaires. Certaines personnes signalent que des
activités aussi irresponsables, sans contrôle aucun, ne
pourraient se poursuivre longtemps sans entraîner de
graves conséquences pour l'avenir des pêches.
Ces noirs pressentiments sont fondés, car, l'une
après l'autre, les aires de pêche au saumon connaissent
le déclin vers le milieu des années 1840 : les chiffres
d'exportation montrent que les expéditions à partir de
Terre-Neuve diminuent régulièrement entre 1842 et
1846, chutant de 46 pour cent pendant cette période; les
exportations du Nouveau-Brunswick baissent de 28
pour cent entre 1844 et 1848; enfin, en Nouvelle-
Écosse, les dossiers des douanes en 1848 montrent que
la province — pour la première fois — importe davantage
de barils de saumon qu'elle n'en exporte.' Bien
qu'il faille utiliser avec prudence les chiffres d'exportation
comme indicateurs réels de l'abondance ou de
la rareté du poisson — particulièrement pendant la période
1846-1851, où le commerce des colonies britan-
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