Nr. 3 (08) anul III / iulie-septembrie 2005 - ROMDIDAC
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EX PONTO NR.3, <strong>2005</strong><br />
74<br />
traduceri din literatura rom~n`<br />
FLORIN ßLAPAC<br />
U<br />
Chez Le cœur enchanté<br />
n gros brouillard couvre le tableau. On peut distinguer plusieurs sentiers qui<br />
partent d’une allée principale. Des mauvaises herbes luxuriantes assiègent<br />
des croix solides, en marbre. Au loin, une croix mince monte toute seule<br />
la côte d’une colline. Au premier-plan: la cérémonie d’un enterrement. Les<br />
tombeaux tout autour, massifs, penchés, ont l’air de s’écrouler sur le groupe<br />
en deuil, réuni sous le branchage d’un arbre. La verticale du tronc d’arbre<br />
est dispersée par les branches dans toutes les directions. A mesure qu’elles<br />
s’élèvent, elles perdent leur matérialité, s’éparpillent dans l’espace. La diagonale<br />
de la colline tourne les yeux vers la tombe où regardent humiliés les<br />
personnages. Détachée du groupe: une femme le menton baissé, penchée<br />
sur le point de tomber. Le saut spatial entre la tête et les épaules, d’un côté,<br />
et le ciel, de l’autre côté, est atténué par une vague complémentarité entre la<br />
couleur de la peau humaine et le violet des nuages. Une autre femme, jeune<br />
aussi, tend le bras à l’intention de l’épauler. Mais son geste semble annulé<br />
par les deux fossoyeurs sans visage, dont les dos sont tournés. Ils tiennent<br />
une caisse, trop haute et trop étroite pour être un cercueil. La ligne en zig-zag<br />
formée par le groupe en deuil commence par la femme épaulée, passe en<br />
arrière chez sa voisine qui, la tête renversée, a l’air de rire au ciel, et touche<br />
le point extrême, au sommet de la colline. Un crâne minuscule, égaré parmi<br />
les herbes, contemple la scène. Il cligne.<br />
Il cligne! Le gros brouillard bleu foncé se dissipe pour une seconde, comme<br />
si Léonard de Vinci évaporait d’un seul geste son «sfumatto» et le tableau<br />
gagnait tout d’un coup la clarté d’un jour ensoleillé sans pitié, sans l’ombre<br />
d’un mystère. Les allées sont balayées par le vent. Les mauvaises herbes<br />
sont basses, joyeuses, multicolores. Une croix découpée dans un massif bloc<br />
en marbre se fend, tremble, secoue les grives tassées dedans. Un diable<br />
ailé la rôde. Mais non, c’est un gosse impertinent, la fronde tendue. Au cou<br />
de la bonne femme, une perle s’écoule, larme, goutte gonflée, en quittant la<br />
cordelette noire, qui, comme un garrot, se comprime. Mais la jeune femme<br />
sourit, tend l’autre bras aussi. Une femme âgée, les traits incertains, avance d’un<br />
pas, plie d’une faπon inhabituelle les coudes et, tendue, soutient le personnage<br />
principal. Loin d’être comblée par l’événement, elle donne la réplique, sue,<br />
murmure. Les tombeaux somptueux qui l’entourent, d’anciennes gens aisés,