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Nr. 3 (08) anul III / iulie-septembrie 2005 - ROMDIDAC

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EX PONTO NR.3, <strong>2005</strong><br />

78<br />

fenêtres embuées. Ana tâche de ne plus faire de bruit, mais sans résultat. À<br />

cause de l’humidité peut-être, les murs sont capables d’amplifier même un<br />

soupir. Les rues déversent dans la place l’humidité et les ombres en plus.<br />

Une corneille, en sautillant, a l’air de les éviter. De derrière les murs, qui de<br />

loin semblent muets, à mesure qu’elle avance, des grincements la regagnent,<br />

des trilles de canari, un pouf de gros tomes tombés du rayon, des plaintes de<br />

chats affamés. Des chuchotements entrecoupés par des éternuements. Le<br />

vent l’énerve, lui sèche les yeux et la bouche et le nez, la rend prisonnière<br />

dans le corps devenu fragile d’une faπon inquiétante. Entre deux cheminées<br />

embuées : un soleil bleu foncé, percé par quelques copeaux mauves. Une<br />

horloge, de la Mairie probablement, glousse plusieurs fois. Un avertissement.<br />

Barbara va piquer encore une crise, elle va dire des mots qu’elle regrettera<br />

plus tard. Mais qui pourrait s’en arrêter? La digue est de plus en plus proche.<br />

Ana presse le pas. La cloche sonne de nouveau. Ana essaie de soulever<br />

le col de son pardessus. Elle y découvre une broche. Elle l’arrache. Elle la<br />

soulève au niveau des yeux. Il y a quelque fils d’étoffe en suspense. Des<br />

colifichets, du métal entortillé, une véritable torture artisanale, attifée de rouge<br />

et de noir, d’un peu d’or terne. Elle la laisse tomber. Une flaque engloutit<br />

silencieusement l’objet. Barbara ne va jamais s’arrêter! Des cadeaux qui<br />

feront effet. Quel effet !<br />

Elle s’arrête devant un parallélépipède gris, pointu, plein à ras bord avec<br />

des affiches déchirées à moitié ou en quartiers, décollées à cause de l’humidité,<br />

tachées par-ci, par-là. Elles seront remplacées lundi. C’est un métier<br />

aussi celui-ci !<br />

Que faites-vous, dans la vie, ‘sieur? Afficheur. Colleur d’affiches. Je travaille<br />

dans le domaine des affiches. On m’appelle Colle. La statue au milieu de<br />

la place, dans le brouillard, a l’air pleurnichard. Ana s’assied sur les marches<br />

du socle, appuie son menton dans le poing, tourne les yeux. Par impatience,<br />

elle se mord la lèvre inférieure.<br />

Un garπon surgit de l’une des ruelles qui s’ouvrent dans la place. Il s’arrête<br />

à deux pas de la jeune femme au pavoisement de laquelle manque une broche.<br />

Il a le front haut, lui, un petit nez, mince, des lèvres extrêmement fines, deux<br />

proéminences aux extrémités du front. Ses cheveux frissonnent au souffle du<br />

vent. Ana lui tend le paquet de petit-beurre. Le gosse l’arrache sans dire mot.<br />

La femme fait apparaître un mouchoir blanc empesé. Le garπon fait demi-tour<br />

prend la fuite, en faisant trembler dans la place déserte sa lèvre supérieure,<br />

inondée par des mucosités. Il bouge les jambes si vite qu’il semble ne pas<br />

toucher la terre. Avant de disparaître, il tend les mains, ouvre ses ailes.<br />

Traduit en franπais par<br />

JEAN PIERRE CARDIN

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