Nr. 3 (08) anul III / iulie-septembrie 2005 - ROMDIDAC
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EX PONTO NR.3, <strong>2005</strong><br />
76<br />
le livre. Tout d’un coup, Barbara tousse. La toux sort hors de la bouche comme<br />
d’une tombe, e ramifie, se charge au contact de l’air vicié, d’une longue note<br />
grave. Ana chuchote:<br />
As-tu fini le premier chapitre?<br />
Barbara marmonne. La main gauche, celle qui tient le livre, glisse<br />
mollement. Elle soupire.<br />
As-tu dis quelque chose? demande Ana.<br />
Le tintement de la pendule couvre en fait la réponse qu’elle n’attend pas.<br />
Elle prend encore une fois de la liqueur. Mais elle ne touche pas au liquide<br />
blanchâtre. Elle écrase seulement ses lèvres contre le verre. Le bruit sec des<br />
dents cognées contre le verre flotte quelque temps dans la pièce. En continuant<br />
d’avancer, inutilement, sur la pointe des pieds, elle se dirige vers la<br />
fenêtre. Elle tourne la tête. Elle a la sensation d’être toujours suivie par cette<br />
poupée-là. Et c’est la pure vérité. Elle devrait se décider à la jeter. Elle a le<br />
visage enlaidi par une grimace rigide, les yeux grands ouverts, immobiles,<br />
les lèvres crispées entre lesquelles luissent quelques dents. Elle soulève un<br />
sourcil, ouvre la bouche, mais renonce à exprimer ses pensées, Ana. Elle<br />
colle le front contre la vitre. Elle est embuée, froide, un peu gluante. Dehors,<br />
des touffes de brouillard s’accrochent à la palissade. Quelque tourbillon fait<br />
le tour de la cour, en passant alternativement d’un coté et de l’autre de l’allée<br />
qui mène à la porte. Les dalles rectangulaires sont tantôt visibles, tantôt pas.<br />
Le tourbillon soulève les fourmilières friables, oblongues. La terre est couverte<br />
d’un tapis multicolore, formé par des branches et des feuilles réduites aux<br />
nervures. Par endroits poussent avec du mal quelques taches de mousse à<br />
moitié décomposées, raides, que le vent ne peut pas bouger. Par-ci, par-la,<br />
quelques flaques bouillonnent. Les bulles à peine surgies à la surface de l’eau<br />
marron sont éclatées par les gouttes de pluie, rares, mais bien visées.<br />
Barbara s’agite sous la couverture.<br />
Le silence s’installe dans la chambre, comme dans un fauteuil commode.<br />
Ana s’assied devant l’épinette. Elle touche le clavier. Une résonance légèrement<br />
mélodieuse remplit la pièce.<br />
Une expression de profonde dévotion s’étale sur le visage de Barbara<br />
marqué par la blancheur des lèvres, le gris des cils, le cendré des sourcils.<br />
Elle joint les mains comme pour la prière.<br />
Deux silhouettes : l’une superposée à la table, l’autre souffre un effet de<br />
superposition à cause de la table. Elles sont en fait réunies par superposition<br />
et séparées par un espace vide. Il y a une symétrie latente autour de l’axe<br />
central. Un lien fragile, en zig-zag. Les corps ont l’air gelé. Le manche nickelé<br />
d’un parapluie, appuyé contre le mur, inutile, scintille. Au milieu de la table:<br />
une bouteille et un verre. Le liquide dans le verre à moitié plein tremble. Sur<br />
le fond sombre du mur, il devient bleuâtre. Mais dans la lumière qui coule par<br />
la fenêtre, il semble orange. C’est difficile à établir si, à proximité du verre,<br />
il y a une bouteille fortement éclairée ou une bouteille blanche partiellement<br />
ombragée. La femme de droite se penche en avant. La bretelle de sa combinaison<br />
blanche glisse sur son épaule. Le sein est délivré de l’étreinte de la<br />
soie et se met à vibrer en contre-temps avec le liquide. Un bruit comme si on<br />
cassait une paille. Elle tend les mains. Elle tient un moment le verre dans la<br />
fraîcheur des paumes. Elle le porte aux lèvres. Son chignon se défait. Ses<br />
cheveux glissants dégoulinent sur les épaules. Les lèvres légèrement gonflées<br />
s’écartent. Elle boit en silence, absente.