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Nr. 3 (08) anul III / iulie-septembrie 2005 - ROMDIDAC

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Tu as eu soif ?<br />

Non. Je l’ai bu pour avoir aimé la couleur.<br />

Les doigts cherchent, en tâtonnant la nappe. En tremblant, ils prennent<br />

une allumette. Privée de l’excès de lumière, la chambre se restreint. Les murs<br />

s’allongent, prennent la fuite. Lorsque la densité de la fumée s’épaissit, l’orange<br />

tend vers un brun chaud. Mais une simple rotation de quelques degrés, de la<br />

main qui tient, la flamme est suffisante pour imprimer à l’atmosphère une teinte<br />

bleuâtre d’autant plus pure que la fumée se déplace sur un fond sombre.<br />

Allons au lit.<br />

Attendons encore.<br />

La femme de gauche, sans aucune raison apparente, se signe.<br />

Les rayons d’un phare qui se déplacent rapidement balaient la pièce. La<br />

cône impitoyable de lumière empreinte pour quelques instants une pâleur<br />

maladive à un livre usé, à une couverture froissée, à des fleurs fanées, à des<br />

miettes, à un bout de corde, un verre vide, à une pomme mordue. Les<br />

scintillements du métal, l’éclat du verre, les reflets d’une couverture sectionnent<br />

le plafond. La femme de gauche, sillonnée par les rayons tranchants, se ratatine,<br />

s’amincit. Quelques mots mal prononcés quittent en susurrant sa bouche.<br />

Un cri hermétiquement fermé dans une boule de fumée flotte à une distance<br />

égale entre le panneau de la table et le plafond. Une bretelle immaculée flotte,<br />

grésille au contact de la peau. La rigidité de la fenêtre étrangle une botte de<br />

chimères. Les mains, immatérielles ont l’air de s’étendre inutilement. D’un air<br />

affecté, les deux femmes s’approchent l’une de l’autre.<br />

Et encore :<br />

– le gonflement d’une cuisse, la vibration d’une fesse; imprimer le<br />

mouvement<br />

– le vague; l’intuition muette d’une vague idéalité<br />

– la mort d’un pli<br />

– les paroles dures, comme disait Gogol<br />

– la progression des ombres qui s’embrassent<br />

Dans la pâtisserie il n’y a que deux élèves à une table. L’une agite la petite<br />

cuiller. Des gouttes de crème bariolent sa figure. Sa bouche tremble, ses lèvres<br />

palpitent aux coins. Elle rit? Elle pleure? Elle n’a pas l’intention de faire des<br />

efforts pour trouver la réponse. Peut-être une autre fois, lorsque son visage<br />

lui reviendrait dans la mémoire, peut-être cette nuit, avant de s’endormir. Elle<br />

achète un paquet de petits-beurre. La vendeuse s’essuie la sueur avec son<br />

tablier. Elle a l’air souffrant. Elle pétrit ses doigts rougis. Elle regarde, absente,<br />

un point qu’elle est la seule à connaître. Ana reste quelque temps la main<br />

tendue. Au passage, se dirigeant vers la sortie, elle a envie de passer ses<br />

doigts dans les cheveux bouclés de l’adolescente. Mais elle ne le fait pas, car<br />

son regard est attiré par la pub, très colorée, un vrai moteur pour le commerce,<br />

accrochée à un gros clou: Donnez des sucreries à vos enfants!<br />

Au-delà de la porte laissée ouverte, par laquelle le brouillard entre en toute<br />

liberté : un passant transi. Elle le suit de près. Le macadam mouillé est glissant.<br />

Elle tourne devant la Banque, immeuble en deuil, couvert d’une sorte de toile<br />

noire comme la pierre de Mecca. Le brouillard arrache, au hasard, quelques<br />

colonnes minces. Le vent pousse des boules de papier vers le centre de la<br />

place. L’écho des talons se cogne contre les murs, fait tinter légèrement les<br />

EX PONTO NR.3, <strong>2005</strong><br />

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