Annibal
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Le mal commençait donc à se produire, mais on n'en sentait pas encore les<br />
conséquences désastreuses :<br />
A l'époque où <strong>Annibal</strong> franchit les Alpes, dit le colonel Perrin, ces contrées étaient<br />
excessivement peuplées ; on peut s'en convaincre par le chiffre des prisonniers<br />
salasses que Varron fit vendre après sa victoire1. Une grande partie des pentes<br />
que nous voyons aujourd'hui dénudées, étaient couvertes de forêts ; le climat<br />
devait être plus doux, et les plateaux ravinés, déchirés, privés maintenant de<br />
toute végétation, devaient à celte époque être cultivés. Le mont Cenis, qui ne<br />
contient aujourd'hui que des pâturages, a été couvert de mélèzes ; on en trouve<br />
encore quelques-uns dans le ruisseau qui vient da petit mont Cenis, en face des<br />
chalets de Saint-Barthélemy. Des troncs d'arbres sont couchés au fond du. lac<br />
Les plateaux de Paris, de Rif-tort, de Brandes, sur la rive droite de la Romanche,<br />
entre le col du Lautaret, les Grandes-Rousses et l'Oisans, étaient boisés, cultivés<br />
et habités encore plusieurs siècles après la conquête romaine, ainsi que<br />
l'attestent, d'accord avec la tradition, les traces des terrains cultivés, les actes<br />
publics d'aliénation de certaines parcelles, conservés encore dans les communes<br />
de qui ces terrains relèvent, et enfin la découverte de nombreuses ruines<br />
d'habitations. Le déboisement, surtout, fut l'agent destructeur par excellence :<br />
c'est lui qui amena la rigueur des hivers, les glissements des contreforts, et par<br />
suite la dépopulation des Alpes. Tout le contrefort de Puy-Golèfre, avant d'arriver<br />
à La Grave, autour duquel passait la route, s'est écroulé ; la route y passe<br />
aujourd'hui en tunnel. Toute la paroi des contreforts au-dessus du lac de Lovitet<br />
et du Glot, où est la belle cascade de la Pisse, s’est effondrée et est descendue<br />
dans la Romanche. Au-dessus du Glot, le terrain s'appelle encore Sous les Scies,<br />
parce que jadis, on y exploitait les forêts. A présent il n'y a pas même le vestige<br />
d'un arbre, et il ne reste plus rien du sol où passait la voie de l'Oisans2.<br />
On trouve au sommet du Glandasse (vallée de la Drôme), une carrière de pierre<br />
jadis exploitée parles Romains ; on y voit des blocs dégrossis et même<br />
entièrement taillés, qui ont plus de 42 mètres de longueur. Il fallait donc qu'il<br />
existât, de ce point à Die, une route carrossable. Où passait-elle ? Où en<br />
retrouver les traces ?<br />
Il est certain qu’à l'époque romaine, toutes ces montagnes des Alpes n'avaient<br />
pas l'aspect qu’elles ont de nos jours ; que leurs pentes devaient être couvertes<br />
de magnifiques forêts ; que c'est, comme aujourd'hui, la civilisation qui, en les<br />
exploitant, a démantelé les contreforts des Alpes, permis aux eaux d'entraîner au<br />
fond des vallées les terres végétales, et de produire ces ravins et ces<br />
escarpements, qui n'existaient certainement pas. Le déboisement a été un<br />
malheur irréparable, qui a fait des Alpes une immense ruine, n'offrant plus aucun<br />
rapport avec la description que nous en a laissée Strabon3.<br />
La tradition affirme que les sommets du Dévoluy, si nus, si stériles, dont toutes<br />
les terres végétales ont été entraînées par les eaux, furent jadis couverts de<br />
magnifiques forêts4.<br />
1 36.000 pour un territoire ne comprenant que le val d’Aoste, et après des guerres<br />
impitoyables (STRABON, IV).<br />
2 Marche d'<strong>Annibal</strong>, p. 12. Il faut lire la description de la voie romaine de l'Oisans dans<br />
cet ouvrage, pour bien sentir l'exactitude et l'importance des observations que fait ici le<br />
colonel Perrin.<br />
3 Marche d'<strong>Annibal</strong>, p. 95.<br />
4 Marche d'<strong>Annibal</strong>, p. 112.