Annibal
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Les gorges, où la cavalerie carthaginoise a marché tout le jour et toute la nuit,<br />
nous ne croyons pas exagérer en leur donnant 15, 20 ou 25 kilomètres de<br />
longueur. Si elles n'en avaient que 5 ou 10, on ne comprendrait plus du tout<br />
cette marche de vingt-quatre heures. Or, la seule gorge de 15 kilomètres de<br />
longueur qu'il y ait en Maurienne, c'est celle qui s'étend de Saint-Michel à<br />
Modane par la Praz.<br />
C'est là que s'engagea la cavalerie carthaginoise en sortant du camp qu'elle avait<br />
occupé entre Saint-Jean-de-Maurienne et la Porte. L'infanterie tint tête à la fois<br />
sur la route de la vallée et sur celle des Encombres, c'est-à-dire autour du Pasdu-Roc<br />
et du rocher de la Porte, qui barre la vallée de l'Arc en aval de Saint-<br />
Michel. Ce serait là le Λευκοπέτρον de Polybe. On a beaucoup discuté pour savoir<br />
si Λευκοπέτρον signifiait une roche nue ou une roche blanche ; la chose n'a<br />
aucune importance pour nous, puisque la montagne calcaire que nous identifions<br />
avec le Λευκοπέτρον de Polybe est blanche et nue à la fois ; mais il nous semble<br />
qu'on n'aurait pas pris la peine de souder les mots λευκον et πετρον pour que le<br />
composé λευκοπέτρον eût strictement le même sens que λευκον πετρον. Une<br />
roche blanche n'est pas une chose assez intéressante pour qu'on lui forge un<br />
nom spécial, et surtout on ne formerait pas ce nom en accolant simplement les<br />
mots roche-blanche1.<br />
Quoi qu'il en soit, le rocher de Vigny ou de la Porte, cloison naturelle, muraille<br />
blanche de 260 mètres qui barre la vallée en aval de Saint-Michel, est<br />
admirablement placé pour la position d'arrière-garde qu'occupait <strong>Annibal</strong>. Grâce<br />
à lui, les Carthaginois n'avaient plus à craindre d'attaque par le fond de la vallée,<br />
le rocher de la Porte étant inaccessible. Il leur suffisait de tenir tête à l'ennemi<br />
sur les deux flancs, vers la route des Encombres et celui du Galibier.<br />
On a indiqué divers rochers très blancs et très nus auxquels on voulait attribuer<br />
ce rôle. Ce sont généralement des roches trop peu considérable, pour l’avoir bien<br />
rempli, et pour avoir attiré l'attention d'un historiographe généralement peu<br />
prolixe. Nous reprocherons en outre à ces positions d'avoir été choisies à<br />
proximité du col, vers Aussois ou l’Esseillon ; il faut pourtant se rappeler que,<br />
pendant le combat d'arrière-garde soutenu par <strong>Annibal</strong>, la cavalerie filait, filait<br />
toujours, devant le danger ; elle prit une telle avance que le contact fut perdu<br />
entre elle et l'infanterie. Il y a donc, dans la nuit qui suit le combat, toute la<br />
longueur de la colonne d'armée entre le point où s'arrête la tête de la cavalerie,<br />
et celui où <strong>Annibal</strong> continue à combattre. Ce n'est pas trop de 20 à 25<br />
kilomètres.<br />
Le lendemain matin, à la première heure, <strong>Annibal</strong> remet l’arrière-garde en<br />
marche et, de sa personne, double toute sa colonne, à laquelle il veut<br />
maintenant servir de guide. Il rejoint la cavalerie bivouaquée entre Modane et<br />
Bramans et l'engage sur le chemin du Clapier.<br />
Cette tête de colonne fera le jour même, si nous en croyons le lieutenant Azan,<br />
ou en deux jours, d'après M. Osiander, l'ascension du col. <strong>Annibal</strong> s'arrêtera deux<br />
jours au col pour laisser à la queue de la colonne le temps de serrer sur la tête.<br />
1 On trouve dans Polybe, X, 30 : πρός γάρ τά παρακείµενα τών όρών ούχ όΐον τ'ών<br />
τοΰτοις προσβαλεΐν, άλλά τοΐς φιβοΐς καί τοΐς εύζώνοις ούκ άδύνατος ήν ή δί αύτών τών<br />
λευκοπέτρων άναβολή.<br />
Larauza (III) suppose que λευκοπέτρα désigne ici une partie spéciale des montagnes. Ce<br />
qu'il y a de certain, c'est que ce n'est pas la blancheur de la pierre qui en rend<br />
l'ascension pénible.