Annibal
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Numides, ses espagnols, avec les trente-sept éléphants conduits par des<br />
Hindous, avait dû laisser un souvenir très vif. Nul, à cette époque, n'aurait pu se<br />
tromper sur la route de l'armée carthaginoise.<br />
Un siècle plus tard, il n'en était plus de même ; non seulement plusieurs<br />
générations s'étaient succédé, mais la tradition devait s'être perdue ; tant<br />
d'ouragans avaient balayé les Alpes, que la trace des Carthaginois ne s'y<br />
retrouvait plus. Après <strong>Annibal</strong>, Asdrubal ; puis les Cimbres, Marins, Pompée,<br />
César, etc., etc. Quel montagnard gaulois ou ligure pouvait être en état, après<br />
tant d'années, de distinguer les uns et les autres, de désigner le col pratiqué par<br />
<strong>Annibal</strong>, celui d'Asdrubal, celui des Cimbres, de Pompée ? Aussi, quand vient le<br />
siècle d'Auguste, n'y a-t-il plus moyen de fixer exactement l'itinéraire d'<strong>Annibal</strong><br />
d'après la tradition. La polémique a commencé.<br />
Les chroniqueurs carthaginois, ou plutôt les Grecs qui suivaient <strong>Annibal</strong>, ont<br />
laissé, au contraire, des manuscrits que l'on consultait encore dans les derniers<br />
temps de l'Empire romain. Ils étaient nombreux, à en croire Cornélius Nepos1, et<br />
il y en a trois dont les noms nous sont parvenus : Silenos, Sosilos et Chæreas.<br />
Le lacédémonien Sosilos avait enseigné la langue grecque à <strong>Annibal</strong> ; Silenos et<br />
lui accompagnèrent le héros carthaginois tant que la fortune lui permit d'avoir<br />
une suite.<br />
Cicéron raconte le songe d'<strong>Annibal</strong>, en citant Silenos comme son auteur2. Tite-<br />
Live donnant à peu près exactement le même récit, il faut en conclure que le<br />
texte de Silenos a été connu de lui, directement ou par un intermédiaire. Cet<br />
intermédiaire pourrait être Cælius Antipater, que Tite-Live cite très souvent, et<br />
qui, d'après Cicéron, a suivi Silenos. Polybe ne nomme pas Silenos, mais il se<br />
répand en invectives contre les crétins qui racontent des anecdotes comme celle<br />
du songe d'<strong>Annibal</strong> (III, 47).<br />
Polybe est aussi, comme nous l'avons vu, très dur pour Fabius, à qui il reproche<br />
de donner des causes inexactes à la seconde guerre punique ; il s'emporte (III,<br />
20) contre Sosilos et Chæreas pour le même motif, les traitant de menteurs,<br />
indignes de porter le beau nom d'historiens. Il ne faut pas s'exagérer<br />
l'importance de ces insultes, à une époque où la vie politique animait tous les<br />
citoyens au lieu d'être concentrée dans quelques assemblées. Polybe n'est pas du<br />
même avis que Fabius, Sosilos et Chæreas sur les causes de la deuxième guerre<br />
punique, et voilà tout. Ce dissentiment passager ne l'empêche pas de suivre<br />
fidèlement Fabius pour le récit des événements auxquels celui-ci a été mêlé, et il<br />
doit en être de même pour Sosilos et Chæreas. S'il avait rejeté Fabius, Silenos,<br />
Sosilos et Chæreas, qui donc aurait trouvé grâce devant lui, et où aurait-il puisé<br />
ses renseignements ? Cicéron et Cornélius Nepos, dans des temps où l'on<br />
connaissait à la fois Polybe et les autres auteurs dont nous parlons ici, donnent<br />
Silenos et Sosilos comme les meilleurs historiens originaux d'<strong>Annibal</strong> ;<br />
parleraient-ils de même si Polybe en avait préféré un autre ?<br />
Cincius Alimentus, que Tite-Live mentionne3 (XXI, 38), est un annaliste romain<br />
qui, fait prisonnier par les Carthaginois en Italie, a pu fournir quelques<br />
1 Vie d'<strong>Annibal</strong>, chap. XIII. Cf. Diodore de Sicile, XXV, 14.<br />
2 Hoc idem in Sileni, quem Cælius sequilur, græca historia est ; isantem diligentissime<br />
res Hannibalis persecutus est. (De Divinatione, I, 24.)<br />
3 Arnobe et Aulu-Gelle le citent également ; il fut préteur en Sicile en l’an 152. Il a donc<br />
pu rencontrer Polybe.