Annibal
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moderne, tout à fait rationaliste. Il n'admet que le raisonnement humain, la<br />
logique normale, pour l'explication et la liaison des phénomènes historiques, et il<br />
veut que tout se tienne, que tout s'explique. Ce perpétuel souci d'interprétation,<br />
de contrôle des événements les uns par les autres, sera un excellent agent<br />
critique, et aidera très efficacement à écarter l'erreur.<br />
Epicurien, disciple d'Evhémère1, Polybe ne pratique pas le culte des Dieux ; il<br />
admet que les vertus humaines se sont formées par l'usage et l'expérience des<br />
générations, il pense que la crainte et le culte des divinités ont été établis pour<br />
réprimer les caprices de la foule ; et il est d'avis que, pour cette seule raison, il y<br />
a lieu d'entretenir la piété, qui se lie étroitement à la probité et aux bonnes<br />
mœurs ; personnellement, il croit pouvoir s'en passer2. II déclare n'avoir foi en<br />
aucune tradition, car elles portent toutes la marque du mensonge et de l'erreur.<br />
Où la superstition n'est pas à dédaigner, c'est comme moyen de gouvernement,<br />
et elle a rendu de grands services aux Romains : tous les citoyens ne pouvant<br />
pas être également intelligents, il vaut mieux que les esprits de la multitude<br />
soient sous le coup de quelques vaines terreurs3.<br />
Avec de telles opinions, on peut penser que Polybe n'acceptera pas comme<br />
explications historiques celles qui consistent à dire qu'un Dieu a fait telle ou telle<br />
chose ; il n'admet pas même le hasard, lequel dissimule toujours une cause<br />
cachée qu'un bon historien doit découvrir4.<br />
Non seulement Polybe échappe aux vaines superstitions, mais il se tient en<br />
garde, dans son sacerdoce d'historien, contre les sentiments les plus honorables<br />
: Il est d'un honnête homme, dit-il, d'aimer ses amis et sa patrie, de haïr ceux<br />
que ses amis haïssent, et d'aimer ceux qu'ils aiment ; mais ces sentiments sont<br />
incompatibles avec le rôle de l'historien. Il faut louer ses amis quand leurs<br />
actions le méritent, et blâmer sans ménagement les plus chers d'entre eux<br />
quand ils ont commis une faute. La vérité est à l'histoire ce que les yeux sont<br />
aux animaux : Un animal à qui l'on enlève les yeux n'est plus bon à rien, et si<br />
l'on retire la vérité à l'histoire, elle devient inutile.<br />
Inutile, voilà pour lui le défaut essentiel : il n'aime pas tant la vérité pour ellemême,<br />
que pour les leçons profitables à tirer de l'histoire véridique.<br />
En écrivant l'histoire, il veut composer un véritable traité de politique et de<br />
stratégie expérimentales. La science du gouvernement, et celle de la guerre, qui<br />
d'ailleurs en fait partie, ne peuvent pas s'étudier par la seule spéculation : elles<br />
ont des objets trop variables, trop peu soumis au raisonnement mathématique,<br />
pour être atteints avec certitude par voie de synthèse, Platon s'est étendu<br />
longuement sur la question de l'organisation des États, mais peu de gens sont<br />
capables de l'entendre ; aussi Polybe en écrira-t-il un résumé qui puisse trouver<br />
place au milieu de son histoire, et qui soit à la portée de toutes les intelligences.<br />
Ce court exposé théorique éclairera les exemples historiques et sera complété,<br />
interprété par eux5. Pour le commun des mortels, c'est l'histoire qui fournit les<br />
données expérimentales nécessaires à l'édification d'une doctrine exacte et<br />
complète.<br />
1 III, 4 ; VI, 6. Voir VALETON, De Polybii Fontibus et Auctoritate, Utrecht, 1879.<br />
2 IV, 67 ; V, 9, 10, 106 ; VI, 20 ; VII, 13,14 ; XI, 7.<br />
3 IV, 21 ; VI, 56 ; X, 2, 9 ; XI, 24 ; XVI, 12 ; XXXI, 11 ; XXXII, 25.<br />
4 I, 63 ; X, 2 ; XVIII, 28 ; XXXVI, 4.<br />
5 Polybe, VI, fragm.