Annibal
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Nous voici, en apparence, très loin d'<strong>Annibal</strong>. En réalité, nous sommes au cœur<br />
même de la question, car nous rencontrerons un système d'après lequel le Rhône<br />
aurait suivi cette trouée de Myans postérieurement à la conquête du pays par les<br />
Gaulois. Mais, sans parler encore de ce point particulier, concluons par une<br />
observation fondamentale, qu'il ne faudra pas perdre de vue en discutant<br />
itinéraire d'<strong>Annibal</strong> : c'est que les phénomènes physiques survenus depuis vingt<br />
siècles, qu'ils soient imputables au déboisement ou à une cause extra-humaine,<br />
ont profondément modifié l'aspect des Alpes, substitué des escarpements et des<br />
éboulis à des pentes praticables, mais n'ont rien changé aux grandes lignes de<br />
l'hydrographie ou de l'orographie, telles qu'on les aperçoit sur une carte<br />
d'ensemble.<br />
Le colonel Perrin, par des études très approfondies et très probantes, montre que<br />
telle vallée, autrefois habitée et cultivée, est devenue une gorge affreuse entre<br />
des murailles à pic, où l'on aperçoit de loin en loin, suspendus aux rochers avec<br />
une parcelle de l'ancien sol, des fragments de voie romaine. Il ne faut donc pas<br />
se hâter d'exclure, pour le seul motif d'impraticabilité, des itinéraires qui nous<br />
semblent trop difficiles à suivre aujourd'hui : qui sait ce qu'ils étaient il y a deux<br />
mille ans ? Au contraire, on peut rejeter d'emblée toute solution qui voudrait<br />
faire passer le Rhône dans la vallée de l'Isère, l'Isère dans celle du Drac, etc.<br />
Dans la région alpine, les efforts qui ont creusé les vallées, ouvert les cluses,<br />
sont hors de proportion avec les très faibles phénomènes physiques de la période<br />
moderne. Les cours d'eau déplacent leur lit au fond de leurs vallées respectives,<br />
mais ils n'ont plus la force de s'en échapper.<br />
Si nous cherchons à suivre, depuis le lac de Genève jusqu'à la Méditerranée, les<br />
modifications que le déboisement et d'autres causes ont pu apporter à la<br />
physionomie du terrain et au cours des rivières, nous commençons à en trouver<br />
dans les montagnes de la Savoie. Les forêts y étaient plus abondantes il y a vingt<br />
siècles, mais la nature des roches, le climat et la quantité d'arbres qui ont<br />
échappé à la destruction, se sont trouvés suffisants jusqu'à présent pour<br />
entretenir la vie dans cette région. Seulement nous sommes à la limite, et il est<br />
grand temps d'enrayer le funeste déboisement<br />
Les montagnes qui s'étendent dans le Chablais et le Faucigny, depuis le mont<br />
Blanc jusqu'au lac, formaient un obstacle aussi sérieux qu'aujourd'hui entre<br />
l'Arve et le haut Rhône. Il n'y a plus guère d'historiens qui veuillent faire passer<br />
<strong>Annibal</strong> par le grand Saint-Bernard ; on sait qu'avant de franchir ce col, le<br />
général carthaginois aurait eu à en traverser d'autres, plus difficiles encore, ou à<br />
longer la rive du lac de Genève, sur l'étroite corniche de Meillerie et Saint-<br />
Gingolph. Les écrivains grecs et latins auraient-ils, dans ce dernier cas, négligé<br />
de citer cette vaste nappe d'eau douce, si extraordinaire pour eux ? Les cluses<br />
étroites et profondes par lesquelles le Rhône traverse les chaînes du Jura n'ont<br />
pas été déplacées ; le lit du fleuve a voyagé sans cesse, au contraire, dans les<br />
petits bassins marécageux qui alternent avec elles, notamment près du lac du<br />
Bourget, plus étendu qu'aujourd'hui, et après le coude d'Aoste, autour des<br />
collines de l'île de Crémieu ; mais les bras parasites qu'il a pu former ici<br />
n'intéressent en rien notre sujet.<br />
Si les montagnes de la Grande-Chartreuse n'ont guère pu se modifier, les<br />
terrasses caillouteuses qui en descendent vers le Rhône, entre Lyon et Valence,<br />
vaste cône de déjection des anciens glaciers, ont subi de grands changements.<br />
L'introduction de la vigne et des arbres fruitiers, après la conquête romaine, a<br />
permis d’utiliser tous les coteaux qui dominent le Rhône et l’Isère, el qui