Annibal
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Le colonel Perrin l’a parfaitement reconnu en écrivant : Ayant appris à Nîmes que<br />
Publius était arrivé avec sa flotte à la première embouchure du Rhône, il obliqua<br />
vers le Nord, ne voulant point combattre au milieu des Gaulois qui, sous<br />
l’influence de Marseille, rivale de Carthage, lui étaient hostiles, et prendraient<br />
parti pour l’armée romaine (p. 20).<br />
Il faut observer : 1° Qu'<strong>Annibal</strong> n'a connu l'arrivée des Romains qu'après avoir<br />
passé le Rhône. Il ne pouvait en être avisé plus tôt, par la seule raison qu'elle<br />
n'avait pas encore eu lieu. Mais il pouvait s'y attendre, et agir en conséquence.<br />
Or, 2° il ne semble pas qu'il ait trouvé un point de passage où les populations lui<br />
fussent bien favorables ; 3° il valait beaucoup mieux aller combattre les Romains<br />
au milieu de peuples dont l'esprit était douteux, que d'attendre l’arrivée des<br />
légions pour passer le Rhône devant elles.<br />
Pour aller de Nîmes à Roquemaure ou à Pont-Saint-Esprit, il fallait franchir le<br />
Gardon, puis parcourir pendant deux jours un petit plateau rocailleux, couvert de<br />
maigres forêts, sans ressources, peut-être sans chemins tracés. On aurait fini<br />
par trouver le Rhône plus vif à Roquemaure qu'à Beaucaire, et pourquoi ? Pour<br />
éviter la Durance, dans la saison des basses eaux, où cette rivière ne constitue<br />
qu'un obstacle tout à fait insignifiant.<br />
Polybe nous dit encore qu'<strong>Annibal</strong> a passé le Rhône dans un endroit où le fleuve<br />
n’avait qu'un seul bras. Il laisse entendre que c'était un avantage. Comme on ne<br />
voulait songer qu'à la partie du Rhône comprise entre Montélimar et Avignon,<br />
l'indication de Polybe a été interprétée de manière à faire chercher un endroit où<br />
il n'y eût pas d'îles. On ne s'est pas aperçu que cette interprétation conduisait à<br />
un non-sens militaire. Il n'y a pas besoin d'être un professionnel pour<br />
comprendre qu'il est beaucoup plus facile, en général, de franchir un fleuve en<br />
s'aidant d'une île, qui coupe et diminue l'obstacle, et dissimule les préparatifs.<br />
Imagine-t-on Napoléon évitant l'île Lobau ? Le Rhône, surtout dans la saison des<br />
basses eaux, rend les îles plus précieuses encore que d'habitude, car il est bien<br />
rare que le ou les bras secondaires ne soient pas alors tout à fait guéables. Ils<br />
l'auraient été, en tout cas, pour les éléphants, dont le passage s'y serait effectué<br />
sans aucune difficulté.<br />
Qu'on se figure <strong>Annibal</strong> à Roquemaure : il aurait, devant lui, un bras unique de<br />
200 à 250 mètres de largeur, mais en remontant ou en descendant de quelque<br />
mille pas, il trouverait l’île de Miémar ou l'île d'Oiselet, séparant le fleuve en un<br />
bras vif de 100 à 150 mètres, et un bras mort guéable. Préférerait-il, dans une<br />
pareille situation, passer le fleuve à l’endroit où il a 200 mètres et plus ? Pour<br />
peu qu'on y réfléchisse, ce n'est certainement pas là ce que Polybe a voulu dire.<br />
On a cherché, on a trouvé sans trop de peine des parties où le Rhône ne forme<br />
pas d'îles. C'était, de toute façon, un travail bien superflu, car les îles<br />
d'aujourd'hui ne sont pas celles d'autrefois, et l'endroit choisi n'aurait peut-être<br />
pas présenté les mêmes caractères il y a vingt siècles. Le mieux était de ne pas<br />
entrer dans un pareil détail, et de ne pas tenir compte de cette indication. Mais la<br />
préoccupation attribuée à <strong>Annibal</strong> était absurde, nous croyons l'avoir montré.<br />
Le texte même de Polybe prouvait que le passage avait eu lieu dans un endroit<br />
extrêmement large : on avait construit une estacade de 100 mètres pour<br />
embarquer les éléphants et, ce faisant, on n'était même pas parvenu à dépasser<br />
le milieu du fleuve ; on n'était pas arrivé à un endroit où ces énormes animaux<br />
auraient eu pied. Imagine-t-on que ce renseignement soit applicable au Rhône<br />
qui coule entre Roquemaure et l'Hers, et dont la largeur, en temps de basses