Annibal
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C'était un instant critique pour <strong>Annibal</strong> : il avait une armée admirable, toute de<br />
vétérans formés par les dures campagnes dans la Celtibérie et la Tarragonaise,<br />
et il avait de plus l'avantage du nombre : sur les 59.000 hommes qui avaient<br />
quitté Ampurias avec lui un mois plus tôt, il n'en avait pas perdu 10.000, et les<br />
Romains ne pouvaient guère lui opposer que 25.000 à 30.000 soldats de<br />
nouvelle levée. La victoire était certaine, et, en impressionnant les peuples<br />
ligures et les Allobroges, elle lui aurait grandement facilité la traversée des Alpes.<br />
<strong>Annibal</strong> n'en jugea pas ainsi : les Romains pouvaient ne pas accepter la bataille<br />
sur-le-champ ; Publius feignait peut-être de la désirer, pour se dérober ensuite<br />
et unir ses forces à celles qui combattaient en Cisalpine. C'était en Italie qu'il<br />
fallait aller au plus vite.<br />
<strong>Annibal</strong> se mit donc en marche, tandis que Publius se portait contre lui. L'un et<br />
l'autre durent prendre des formations appropriées aux circonstances, telles qu'il<br />
convient de les choisir à proximité immédiate de l'ennemi : Publius, nous dit Tite-<br />
Live, fit marcher son armée en carré ; <strong>Annibal</strong> dut en faire autant de son côté. Il<br />
laissait la cavalerie et les éléphants à l’arrière-garde.<br />
On ne marche pas vite en pareil cas, surtout quand les obstacles sont nombreux<br />
: <strong>Annibal</strong> dut faire de très petites journées en franchissant les divers bras de la<br />
Durance. En quatre jours, il se trouvait dans la région de Bédarrides, chez les<br />
Cavares ou les Memini, dont le pays s'appelait l'Ile.<br />
Avant d'aller plus loin, il est bon de se demander par quels motifs <strong>Annibal</strong> a dû<br />
être guidé dans le choix de sa route à travers les Alpes. Les écrivains romains ne<br />
l’ont jamais su : il n'a pas pris le chemin le plus court, répètent-ils avec<br />
étonnement. Voulant gagner le pays des Insubres, il n'avait qu'à remonter la<br />
Durance et à passer en Italie par le mont Genèvre. C'est évidemment ce<br />
qu'aurait fait un voyageur ; ce n'est pas ce qu'on devait faire avec une armée.<br />
Napoléon, lui, n'a aucune hésitation : sans avoir approfondi la question, il est sûr<br />
qu'<strong>Annibal</strong> a passé par Grenoble et le mont Cenis. (Mont Cenis ou Clapier, c'est tout<br />
un au point de vue stratégique.) Penser au Saint-Bernard, grand ou petit, lui paraît<br />
impossible. Parmi les historiens qui ont adopté ce passage, on ne trouvera pas<br />
d'autre militaire que le malheureux Rogniat.<br />
Quant au mont Genèvre, c'est un col un peu moins élevé que celui du mont<br />
Cenis, et la route d'Avignon à Turin est plus courte de trois ou quatre marches<br />
par la vallée de la Durance que par la Maurienne. Mais il s'agit bien de trois ou<br />
quatre jours perdus, quand on risque de perdre la moitié de ses troupes !<br />
Quiconque voudra se donner la peine de parcourir la vallée de la Durance après<br />
celles de l'Arc et de l'Isère reconnaîtra l'énorme différence qui existe entre ces<br />
deux voies au point de vue de la praticabilité. Le long de la Durance, on chemine<br />
dans un défilé perpétuel ; ce ne sont que montées et descentes. Le long de<br />
l'Isère et de l'Arc, on s'élève insensiblement jusqu'au pied du col, et les défilés<br />
sont rares, faciles à enlever par un combat d'avant-garde. La vallée est assez<br />
large pour nourrir une armée.<br />
<strong>Annibal</strong> a choisi la route de Valence, Grenoble, la Maurienne, parce que c'était<br />
celle qui devait présenter les plus grandes facilités de subsistance et de marche.<br />
Elle lui était indiquée par les agents carthaginois qui avaient parcouru le pays<br />
l'année précédente ; par les ambassadeurs que les Insubres venaient de lui<br />
envoyer, et enfin par les Cavares. Cette route, d'ailleurs, comme en témoigne<br />
l'inscription trouvée entre Saint-Michel et Valloire, était bien connue des