Annibal
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CHAPITRE PREMIER. — LA RÉGION RHODANIENNE AVANT LA<br />
CONQUÊTE ROMAINE.<br />
I. — Géographie physique.<br />
Nous ne pouvons discuter les relations, trop peu explicites, de Polybe et de Tite-<br />
Live, sans avoir décrit, tant bien que mal, le pays qu'<strong>Annibal</strong> a traversé. Si<br />
incomplète que soit notre connaissance de la Gaule ancienne, les quelques faits<br />
positifs que nous pouvons grouper suffiront, du moins, à donner une idée<br />
approximative du terrain, des hommes et des ressources de la région.<br />
Faute de commencer par là, les historiens d'<strong>Annibal</strong> tiennent le lecteur à leur<br />
merci, lui révèlent les rivières, les peuples et les villes au moment et dans la<br />
mesure voulus ; ils le laissent ou le font raisonner dans les hypothèses les plus<br />
diverses. Tantôt on croirait que rien n'est changé depuis deux mille ans, que les<br />
armées marchaient avec les mêmes dispositions tactiques, les mêmes moyens de<br />
transport qu'aujourd'hui ; que les fleuves et les rivières avaient strictement le<br />
même régime, les mêmes bras passant dans les mêmes lits et entourant les<br />
mêmes îlots. Tantôt, au contraire, on imagine que le monde a été bouleversé :<br />
on fait accomplir, depuis l’an 200 jusqu'à nos jours, c'est-à-dire dans une partie<br />
des temps historiques, la presque totalité des phénomènes physiques<br />
attribuables à l’ensemble de la période quaternaire : les fleuves se sont ouvert<br />
de nouvelles vallées ; les mers ont d'autres rivages. Et surtout, l'erreur la plus<br />
commune, l'erreur instinctive, presque universelle, c'est de confondre <strong>Annibal</strong><br />
marchant de Narbonne à Turin avec Stanley dans les ténèbres de l'Afrique, de<br />
considérer la Gaule comme une immense forêt vierge peuplée de tribus sauvages<br />
et nomades, sans ressources et sans voies de communication. Un jour nous<br />
assistons, avec le colonel Hennebert, au travail de l’état-major carthaginois dans<br />
la mairie de Grenoble : sur des cartes hypothétiques, on règle de grands<br />
mouvements d'armée ; ou bien, avec la plupart des historiens, nous suivons le<br />
Rhône entre Pont-Saint-Esprit et Roquemaure, et nous scrutons les bancs de<br />
sable nés d'hier, nous comptons les jeunes peupliers pour choisir ceux qui<br />
répondent aux descriptions de Polybe et de Tite-Live. Une autre fois, en<br />
revanche, on nous fera voir le Rhône remontant les terrasses de Chambéry ou<br />
rencontrant la mer aux portes d'Arles, et le colonel Perrin jugera tels fonds de<br />
vallée impraticables pour <strong>Annibal</strong> parce qu'il faudrait y supposer une route<br />
frayée, chose invraisemblable, paraît-il, pour l'historien qui nous a révélé le<br />
passage périlleux du Clapier.<br />
La vérité, selon l'usage, se trouve entre les deux. Ce n'est ni la Gaule savante du<br />
colonel Hennebert, ni la Gaule vierge du colonel Perrin que les écrivains anciens,<br />
les géographes et les archéologues nous font connaître, mais un pays qui, pour<br />
n'avoir pas le degré de civilisation de la France moderne, n'en possède pas moins<br />
une industrie, une activité agricole et commerciale, une viabilité très<br />
développées.<br />
Ce n'est pas là seulement ce que nous aurons à montrer. Pour assurer au lecteur<br />
l'intelligence de la question, la pleine faculté de contrôle et de critique, il faut lui<br />
fournir d'avance les renseignements que nous possédons sur la topographie et<br />
sur les dénominations géographiques, sur les villes et sur les peuples établis<br />
entre les Pyrénées et les Alpes. Il faut préciser avec soin ce qui est certitude, ce