Annibal
You also want an ePaper? Increase the reach of your titles
YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.
Il n'y a rien d'absolument impossible, à coup sûr à ce que Minucius ait battu les<br />
Ligures deux fois de suite devant Pise, et il n'est pas certain, malgré l'avis de<br />
Nissen, que Tite-Live ait copié, à cinquante pages de distance, deux relations<br />
d'une même campagne ; seulement, ce qui est bien fait pour éveiller les<br />
soupçons, c'est que de pareilles répétitions reviennent trop souvent dans Tite-<br />
Live pour qu'on y croie toujours. Qu'il s'agisse de Ligures, de Gaulois ou<br />
d'illyriens, on voit chaque campagne recommencer deux années de suite, mais<br />
jamais trois sur un même théâtre, avec combats aux mêmes points, en sorte<br />
qu’on se demande si Tite-Live n'a pas suivi deux annalistes entre lesquels<br />
existerait une différence constante d’une année.<br />
Pour l'expédition d'Appius Claudius en Illyrie, par exemple, nous trouvons deux<br />
récits successifs qui peuvent se rapporter à deux campagnes différentes, mais<br />
qui ont bien l'air d'être deux variantes d'une même relation : dans le chapitre<br />
XLIII, 9, les Romain ont subi un échec en Illyrie, et Claudius va les venger. Il<br />
marche sur Lychnidos, puis sur Uskana, dont les habitants lui infligent une<br />
défaite sanglante, et se retire en désordre sur Lychnidos, etc. Dans le chapitre<br />
XLIII, 18, on voit d'abord Persée s'emparer d'Us-kana' en vendre les habitants et<br />
y mettre garnison. L. Cœlius, lieutenant des consuls, arrive à Lychnidos, puis à<br />
Uskana, où il est battu et mis en déroute ; il est recueilli à Lychnidos par Appius<br />
Claudius, qui bat en retraite avec lui jusqu'à la côte. N'y a-t-il pas là deux<br />
relations différentes d'une même campagne ? Faut-il croire qu'Appius Claudius,<br />
comme Minucius et tant d'autres consuls, selon Tite-Live, est venu subir deux<br />
échecs au même endroit ? Nissen ne l'admet pas, et il pourrait bien avoir raison.<br />
Le vieux Rollin avait dû éprouver la même impression, car il supprime l'un des<br />
deux passages dans son histoire romaine.<br />
En voilà assez pour constater que Tite-Live a souvent donné deux ou trois<br />
relations d'un même fait (négociations avec Persée, avec les Rhodiens, envoi de<br />
troupes en Étolie, etc.) ou placé bout à bout des fragments d'origines diverses,<br />
sans pouvoir les raccorder (guerre de Ligurie) ; Tite-Live, dit Nissen, prenait ses<br />
auteurs l'on après l'autre ; il se contentait de les traduire, et il ne faut pas lui<br />
demander de liaison ou de mélange.... Il y a entre Polybe et les autres sources<br />
que Tite-Live a utilisées des contradictions que le travail de ce dernier ne fait<br />
nullement disparaître (page 52).<br />
Nous voici donc fixés sur le procédé de composition de Tite-Live, d'après<br />
l'analyse critique que Nissen a faite des 4e et 5e décades. Il choisit, pour une<br />
période, ou pour un sujet donné (une campagne, par exemple) un auteur principal.<br />
Il adopte naturellement la relation dont le plan et le développement se<br />
rapprochent le plus de ce qu'il projetait lui-même ; il tient compte des qualités<br />
de conscience et d'exactitude reconnues aux historiens, de (espace et du temps<br />
qui les séparent des événements. Autant que possible, il aura recours à un<br />
témoin oculaire ; a priori, sa préférence sera pour ceux qui ont dû être le mieux<br />
au courant des faits. Mais il peut se tromper dans son choix, où il tient plus<br />
compte de la situation des historiens que du parti qu'ils en ont tiré. Par exemple,<br />
malgré la conscience bien connue de Polybe, il lui préfère, pour ce qui concerne<br />
l'Italie, les annalistes romains qui ne le valent pas toujours, mais qui devraient<br />
être mieux informés.<br />
L'auteur principal étant choisi, Tite-Live va le copier ou le traduire plus ou moins<br />
librement, d'un bout à l'autre du ou des chapitres qu'il veut utiliser ; mais il note<br />
auparavant les fragments d'autres historiens qu'il veut reproduire aussi, en<br />
raison des données complémentaires qu'ils lui fournissent. Ces fragments, il les