Annibal
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depuis peu ; elle était facile à entamer, parce qu'ayant commencé récemment,<br />
elle était molle et n'avait pas encore beaucoup d'épaisseur ; mais lorsqu'après<br />
l'avoir traversée, les pieds atteignaient celle qui était dessous, très consistante,<br />
ils ne l'entamaient plus. On glissait des deux pieds et on coulait, comme il arrive<br />
sur la terre quand on marche sur un sol fangeux. Ce qui suivait était plus pénible<br />
encore : les hommes ne pouvaient entamer la neige inférieure, et s'ils voulaient,<br />
en tombant, s'accrocher des mains et des genoux pour se relever, ils glissaient<br />
plus encore, parmi tous les appuis, sur ces pentes généralement raides. Quant<br />
aux bêtes de somme, quant elles tombaient, elles entamaient bien la neige<br />
inférieure et se redressaient, mais après l'avoir percée, elles restaient comme<br />
fichées avec leurs fardeaux, par leur poids et par la compacité de la neige<br />
ancienne. <strong>Annibal</strong> abandonna donc cette espérance et fit bivouaquer sur la<br />
crête1, après en avoir balayé la neige ; puis il donna des instructions à sa troupe<br />
et remblaya2 l’escarpement à grand'peine.<br />
Un seul jour suffît pour faire un chemin praticable aux chevaux et aux bêtes de<br />
somme ; il les y fit passer tout de suite, puis ayant établi son camp dans des<br />
lieux qui échappaient déjà à la neige, il envoya les animaux au pâturage, et fit<br />
aller des Numides au travail de terrassement3 par fractions. C'est à grand'peine<br />
qu'après trois jours de souffrances il fit passer les éléphants, qui avaient<br />
cruellement pâti de la faim, car les sommets des Alpes et les abords des cols<br />
sont absolument sans arbres et dénudés, à cause du séjour de la neige, été<br />
comme hiver ; mais au-dessous du milieu des pentes, des deux côtés, elles sont<br />
couvertes d'arbres, de forêts, et sont habitables.<br />
55. — <strong>Annibal</strong>, en somme, ayant rassemblé toute son armée sur un même point,<br />
descendait, et le troisième jour à partir du susdit précipice, il atteignait les<br />
plaines. Il avait perdu beaucoup de ses soldats du fait des ennemis et des cours<br />
d'eau, durant tout le trajet, et il avait perdu aussi dans les ravins et les endroits<br />
difficiles des Alpes, non seulement beaucoup d'hommes, mais beaucoup de<br />
chevaux et de bêtes de somme. Enfin, ayant fait tout son voyage depuis la Ville<br />
Neuve en cinq mois, et la traversée des Alpes en quinze jours, il entra hardiment<br />
dans les plaines du Pô et chez le peuple des Insubres. Il avait sauvé environ<br />
42.000 fantassins de ses troupes africaines, 8.000 Ibères, et tout au plus 5.000<br />
cavaliers, comme il l'explique lui-même dans l'inscription qui donne le relevé de<br />
ses troupes au cap Lacinien....<br />
[Mouvements de P. C. Scipion en Italie et considérations générales sur l’histoire et la<br />
géographie.]<br />
60. — Nous avons indiqué plus haut le nombre des troupes avec lesquelles<br />
<strong>Annibal</strong> entra en Italie ; en débouchant, il campa à l'entrée de la plaine qui borde<br />
le pied des Alpes, et pour commencer il rassembla ses troupes et les laissa<br />
reposer. Les montées et les descentes, les difficultés rencontrées dans le<br />
passage du col avaient horriblement fait souffrir toute l'armée ; en outre, elle<br />
avait été très abîmée par le manque du nécessaire et l'absence de soins<br />
matériels. Beaucoup d'hommes étaient tombés au dernier degré de la<br />
démoralisation par leur misère et leurs souffrances incessantes. On n’avait pas<br />
pu porter dans de pareils endroits des vivres en abondance pour le nombre de<br />
milliers qu'ils étaient, et ce qu'on en avait avec la colonne avait été perdu en<br />
1 'Ράχις, crête, épine dorsale.<br />
2 Έξωκοδόµει, signifie à la fois bâtit et démolit, c'est-à-dire ici remblayer ou entailler.<br />
3 Οίκοδοµία, construction. Il s'agit donc de remblayer et non d'entailler le rocher.