Mmoires du vice-amiral baron Grivel : Rvolution-Empire - Les ...

394 MEMOIRES DU VICE-AMIKAl. BARON GHIVEL
nous avions de mieux à faire étail de poursuivre notre route
sur-le-champ. Comme il n'y avait, en effet, aucun moyen de
prendre un autre parti, nous nous résignâmes. Le l>rave
homme tint parole, car Rompait fut poussé dehors à la nuit
tombante et put regagner Toulon . Nous
arrivâmes à Marseille
le soir même, et j'obtins facilement, au bureau des classes, un
passeport en règle.
Nous partîmes par la diligence le lendemain; la nuit se
passa tranquillement et nous arrivâmes à Avignon, vers onze
heures du matin. Je n'oublierai jamais comment l'estafier, qui
se portait à notre rencontre, se mit à causer avec le conduc-
teur, et comme celui-ci lui demandait des nouvelles de Brune :
b II est là, s'écria l'Avignonnais d'un air de triomphe, en mon-
trant le Rhône; le coquin, le scélérat!... etc. »
Qu'on juge de l'impression que j'éprouvai à ces paroles!
mais je n'eus pas le temps de me livrer à ma douleur, car,
lorsque nous descendions de la diligence, mon pauvre Kram-
mer, que je soutenais, parce qu'il avait été moulu au Beausset,
attira l'attention de la foule, qui se mit à crier en regardant sa
tête bandée : k Ah ! il paraît qu'on les manque là-bas, mais ici
on ne les manque pas. Descends, descends... » Heureusement
mon bottier de Marseille, qui était en garde national et qui
connaissait mon domestique, le prit sous sa protection et dit en
provençal : a Vous vous trompez, mes braves, c'est un topo
vollo, qui n'a fait que se soûler tout le long de la route,
comme un Allemand qu'il est, et qui nous a donné la comé-
die. » Ce renseignement accompagné de la pantomime de l'ora-
teur égaya la canaille, qui nous accompagna jusqu'à l'auberge
de ses acclamations dérisoires.
.l'avais un passeport de capitaine marchand fort en règle;
mais Avignon était, en ce moment, dans un tel état d'efferves-
cence que tout était à craindre si j'eusse été reconnu pour un
militaire venant de Toulon. J'avais mes petits bagages dans la
hache de la voiture, et mon chapeau d'uniforme entre autres