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d'en haut, comme s'ils venaient d'un monde supérieur, des accords<br />
musicaux suaves, soutenus, qui s'affaiblirent peu à peu, jusqu'à<br />
s'éteindre. Simultanément, Jean, le fidèle valet de chambre, sortait de la<br />
chambre du mourant, en proie à une vive émotion en demandant avec<br />
anxiété : « Avez-vous entendu ? Madame. Cette fois la musique venait<br />
du jardin et résonnait juste à la hauteur de la fenêtre. »<br />
- « Non, répliqua la comtesse, elle venait du salon à côté. On ouvrit<br />
les croisées et on regarda dans le jardin. Une brise légère et silencieuse<br />
soufflait à travers les branches unes des arbres ; on entendait au loin le<br />
bruit d'un char qui passait sur la route ; mais on ne découvrait rien qui<br />
pût déceler l'origine de la musique mystérieuse. Alors les deux amies<br />
entrèrent dans le salon, d'où elles pensaient que dût provenir la<br />
musique ; mais sans rien remarquer d'anormal. Pendant qu'elles étaient<br />
encore occupées par leurs recherches, une autre série d'accords<br />
merveilleux se fit entendre ; cette fois ils semblaient venir du bureau.<br />
La comtesse, en rentrant dans le salon dit : « Je crois ne pas<br />
m'abuser : il s'agit d'un quatuor joué à distance et dont nous<br />
parviennent, de temps en temps, des fragments. Mais Frau voit Goethe<br />
remarqua à son tour : « Il m'a semblé, au contraire, entendre le son<br />
proche et net d'un piano. Ce matin je m'en suis convaincue au point<br />
d'envoyer le domestique auprès des voisins, en les priant de vouloir bien<br />
ne pas jouer du piano, par respect pour le mourant. Mais ils ont répondu<br />
tous de la même façon : qu'ils savaient bien dans quel état se trouvait le<br />
poète, et qu'ils étaient trop consternés pour songer à troubler son<br />
agonie en jouant du piano. »<br />
Tout à coup, la musique mystérieuse retentit encore, délicate et<br />
douce ; cette fois elle semblait prendre naissance dans la pièce même ;<br />
seulement, pour l'un, elle paraissait être le son d'un orgue, pour l'autre,<br />
un chant choral, pour le troisième, enfin, les notes d'un piano.<br />
Rath S., qui, à ce moment-là, signait le bulletin médical avec le<br />
docteur B., dans l'entrée, regarda avec surprise son ami, en lui<br />
demandant : « C'est une concertina qui joue ? » -<br />
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« Il paraît » ; répondit le docteur ; « peut-être quelqu'un dans 1e<br />
voisinage songe à s'amuser. »<br />
« Mais non, répliqua Bath S. ; celui qui joue est sans doute dans<br />
cette maison. »<br />
Ce fut ainsi que la musique mystérieuse continua à se faire<br />
entendre jusqu'au moment où Wolfgang Goethe exhalait le dernier