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personnelle avec lui, consistait en ceci, qu'au cours de l'hiver précédent,<br />
époque de sa mort, je le rencontrais presque chaque jour dans la rue, en<br />
allant à mon école. C'était un pur hasard ; mais ces rencontres devinrent<br />
si fréquentes, qu'il finit par les remarquer, il commença par me sourire<br />
quand je passais ; ensuite il me salua respectueusement ; j'en faisais<br />
autant.<br />
Durant l'automne, il mourut soudain ; ses obsèques eurent lieu le 4<br />
novembre 1845, dans l'église de Trinity, alors rue Summer. Ce fut une<br />
cérémonie solennelle et émouvante à laquelle assistèrent tous les musiciens<br />
de Boston, en même temps qu'un grand nombre d'autres citoyens<br />
éminents ; en effet, on déplorait universellement sa mort. J'y assistai avec<br />
ma sœur et, vers le milieu de la cérémonie, j'ai été saisie d'un<br />
pressentiment inexprimable et inexplicable qu'il pourrait en ce moment<br />
et dans ce milieu se relever du cercueil et apparaître au milieu de nous,<br />
comme s'il était vivant. Sans me rendre compte de ce que je faisais, j'ai<br />
pris la main de ma sœur en disant presque à haute voix : « Oh ! il doit<br />
ressusciter à une nouvelle vie ! » Ma sœur me regarda avec étonnement et<br />
me murmura : « Mais tais-toi donc ! »<br />
Durant la soirée du jour même, je me trouvais dans la salle à manger<br />
avec ma mère, mes deux sœurs et un ami cubain ; on causait des obsèques<br />
solennelles auxquelles nous avions assisté, et ma sœur raconta l'incident<br />
singulier de mon exclamation, en répétant mes paroles. Tout à coup,<br />
voilà que retentit dans la pièce un flot de musique merveilleuse, telle que<br />
personne parmi nous n'en avait jamais entendue. Je vis les visages des<br />
assistants prendre une attitude de stupeur, presque mêlée de peur ; j'étais<br />
moi-même saisie par une sorte d'effroi de l'invisible, mais je continuais<br />
d'une façon incohérente les propos que j'avais commencés. Alors, pour la<br />
deuxième fois, s'éleva un flot d'accords musicaux sonores et merveilleux,<br />
qui s'affaiblirent et disparurent, peu à peu. Ma sœur et moi nous nous<br />
précipitâmes à la fenêtre pour nous<br />
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assurer si quelque musique ne passait pas dans la rue ; mais celleci<br />
était déserte ; on n'entendait pas un bruit, hormis le bruissement d'une<br />
petite pluie. Alors j'ai monté les escaliers, je suis entrée dans le petit<br />
salon qui se trouvait au-dessous de la salle à manger ; il y avait là, assise,<br />
en train de lire, une dame, notre hôte, appartenant à la secte des<br />
Quakers. Un piano se trouvait dans la pièce et, quoique l'instrument<br />
fût fermé, j'ai demandé : « Quelqu'un a peut-être joué du piano » ?-<br />
« Non, répondit-elle ; mais j'ai entendu tout à l'heure une musique