La stabilité <strong>de</strong>s groupesDe manière plus générale, on observe une gran<strong>de</strong> diversité en ce qui concerne la stabilité <strong>de</strong>sgroupes. Ceux-ci peuvent se prolonger à travers le temps <strong>et</strong> l’espace, mais on peut repérer troisgran<strong>de</strong>s tendances.Certains explosent ou disparaissent, par exemple suite au départ <strong>de</strong> l’un <strong>de</strong>s membres <strong>et</strong>, surtout, sicelui-ci constituait le noyau dur du groupe, ou en raison <strong>de</strong> difficultés particulières pour le groupe.On peut donner comme exemple l'incarcération d'un ou plusieurs <strong>de</strong> ses membres ou <strong>de</strong>sévènements qui peuvent faire peur aux plus <strong>jeunes</strong> qui ne rejoignent pas le groupe <strong>et</strong> dont lerenouvellement n’est du coup plus effectué. Mais la disparition du groupe peut tout autant être liéeaux trajectoires personnelles <strong>de</strong> ses membres qui évoluent jusqu’à s’éloigner progressivement dugroupe <strong>de</strong> pairs pour diverses raisons : scolarité, emploi, <strong>et</strong>c.Certains groupes, au contraire, perdurent car ils s’assurent un renouvellement avec <strong>de</strong>s nouveauxmembres, souvent <strong>de</strong>s plus <strong>jeunes</strong>, qui prennent le relais. L’exemple particulièrement illustratif <strong>de</strong> cephénomène est constitué par le square situé à Paris où les "sous-groupes" <strong>de</strong> <strong>jeunes</strong> sont répartisdans l'espace en fonction <strong>de</strong> leur âge, qui détermine le lieu <strong>de</strong> rassemblement du groupe. Au fil <strong>de</strong>sannées les <strong>jeunes</strong> grandissent, passent d'un sous-groupe à un autre <strong>et</strong> changent ainsi <strong>de</strong> lieu <strong>de</strong>regroupement dans le parc, assurant par la même le renouvellement <strong>de</strong> l’occupation <strong>de</strong> l’espace <strong>et</strong>donc <strong>de</strong>s différents groupes.D’autres enfin perdurent, mais sans renouvellement <strong>de</strong> leurs membres. Ces groupes peuvent avoirune très longue durée <strong>de</strong> vie, qui s’explique par la pérennité du critère <strong>de</strong> regroupement. L’équipeMozaic nous a parlé <strong>de</strong> <strong>jeunes</strong> faisant partie du même groupe <strong>de</strong>puis dix ans, très impliqués dans l<strong>et</strong>rafic <strong>et</strong> qui avaient 16 / 17 ans lors <strong>de</strong> la constitution du groupe. L’activité délinquante doublée <strong>de</strong>liens affinitaires assez forts a permis aux membres <strong>de</strong> persister dans une activité collective. Un autregroupe, que l’on a pu observer dans le Pays Voironnais, s’était constitué autour d’une activité hiphop <strong>et</strong> a perduré. Il s’est monté en association <strong>et</strong> continue d’exister aujourd’hui, même si c<strong>et</strong>teexistence est différente <strong>de</strong> son fonctionnement <strong>de</strong> départ basé sur une occupation <strong>de</strong> l’espace publiccar les <strong>jeunes</strong> ont grandi <strong>et</strong> disposent d’un lieu où se regrouper. Dans ces <strong>de</strong>ux exemples, on voitbien que ces <strong>de</strong>ux collectifs étaient basés, au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong>s liens affinitaires, autour d’une activité qui apermis au groupe <strong>de</strong> perdurer.De manière générale, plusieurs facteurs peuvent expliquer le départ volontaire d’un <strong>de</strong>s membres dugroupe. D’abord, on r<strong>et</strong>rouve la relation amoureuse, qui peut difficilement s’épanouir au sein d’ungroupe <strong>de</strong> pairs, d’autant plus lorsque celle-ci conduit à la constitution d’une famille. Ensuite, onpeut repérer les <strong>jeunes</strong> qui quittent le domicile parental, soit suite à leur entrée dans la vieprofessionnelle, soit suite à une orientation scolaire éloignée du domicile parental. Pour conclure, <strong>de</strong>manière générale, le départ du groupe illustre souvent une autonomisation du jeune, qui l’éloigne <strong>de</strong>ses cercles d’affinités traditionnels, pas toujours physiquement mais tout au moinsémotionnellement. Le jeune peut continuer à habiter au même endroit, mais ses activités font qu’ildispose <strong>de</strong> moins <strong>de</strong> temps à dépenser en collectif, mais aussi qu’il rencontre <strong>de</strong> nouvelles personnesqui peuvent l’amener à l’éloigner <strong>de</strong> son groupe <strong>de</strong> pairs d’origine. On notera toutefois, en écho aux<strong>Groupes</strong> <strong>de</strong> <strong>jeunes</strong> <strong>et</strong> <strong>pratiques</strong> <strong>de</strong> prévention spécialisée – CTPS 2010 - Page 151
paroles <strong>de</strong>s éducateurs <strong>de</strong> prévention spécialisée, que parfois un éloignement physique n’empêchepas les membres du groupe <strong>de</strong> se r<strong>et</strong>rouver, souvent au même endroit, même après plusieursannées. Cela se vérifie uniquement pour les groupes <strong>de</strong> pairs ayant développé <strong>de</strong> forts liensaffinitaires, jusqu’à constituer aux yeux du jeune une autre famille.Cohésion <strong>de</strong> groupe <strong>et</strong> fonctionnement normatifLe groupe, <strong>de</strong> par sa fonction socialisante <strong>et</strong> i<strong>de</strong>ntitaire, se constitue autour <strong>de</strong> référencescommunes, souvent ancrées dans la culture <strong>de</strong> la rue.Ainsi, au sein <strong>de</strong>s groupes rencontrés par les équipes <strong>de</strong> prévention spécialisée, on observe unecertaine homogénéité <strong>de</strong>s références culturelles : les membres écoutent un même type <strong>de</strong> musique,souvent du rap, ou pratiquent une même activité (skateboard, football, tags…). Il existe donc unélément partagé par tous les membres qui peut même être à la base <strong>de</strong> l’existence du groupe. Celapeut se traduire par un mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> communication commun, avec <strong>de</strong>s co<strong>de</strong>s langagiers. David Lepoutrenote sur ce point que le langage adolescent est empreint <strong>de</strong> violence <strong>et</strong> <strong>de</strong> provocation à l’égardd’autrui. « Il traduit (…) une expérience <strong>et</strong> <strong>de</strong>s <strong>pratiques</strong> originales ; il sert <strong>de</strong> support à <strong>de</strong>s relationssociales spécifiques, dans le cadre <strong>de</strong>s groupes <strong>de</strong> pairs <strong>et</strong> il exprime une vision du mon<strong>de</strong> <strong>et</strong> uneidéologie qui lui sont propres. Bref, il relève d’une culture, ou du moins d’une sous-culture, à la foisorganisée <strong>et</strong> cohérente. » Il traduit l’ « opposition à la culture légitime <strong>et</strong> dominante <strong>et</strong> surtout [m<strong>et</strong>]en lumière le rôle spécifique que joue la parole dans les relations sociales en vigueur au sein dugroupe <strong>de</strong> pair. » Ces éléments <strong>de</strong> culture homogènes participent à renforcer la cohésion du groupe,mais aussi le sentiment d’appartenance <strong>de</strong> ses membres.La cohésion entre les membres <strong>de</strong>s groupes peut être variable, selon la base <strong>de</strong> constitution <strong>de</strong>sgroupes. Les groupes <strong>de</strong> pairs affichent une solidarité plus forte, renforcée comme nous l’avons vu ci<strong>de</strong>ssuspar le partage d’une culture commune <strong>et</strong> <strong>de</strong>s liens affinitaires forts. Les membres <strong>de</strong>s groupesconstitués pour une activité ludique, au contraire, sont ensemble afin <strong>de</strong> pratiquer un loisir <strong>et</strong>, s’ilspeuvent partager une même culture, la cohésion du groupe est moins forte. Concernant les groupespour <strong>pratiques</strong> parallèles, la cohésion du groupe répond à un impératif <strong>de</strong> survie du groupe <strong>et</strong> <strong>de</strong>maintien <strong>de</strong> l’activité. On voit donc bien que la cohésion entre les membres est variable. Mais <strong>de</strong>façon générale, comme nous l’avons vu plus haut, le groupe constitue pour les <strong>jeunes</strong> adolescents unélément clef dans leur constitution i<strong>de</strong>ntitaire, ce qui explique la forte implication <strong>de</strong>s membres dansleur groupe <strong>de</strong> pairs, <strong>et</strong> donc la forte cohésion souvent observée.C<strong>et</strong>te forte cohésion, si elle perm<strong>et</strong> aux <strong>jeunes</strong> <strong>de</strong> se construire en tant qu’adulte en dépensant dutemps entre eux, peut aussi faire émerger certains eff<strong>et</strong>s indirects tels qu’une forte dépendance <strong>de</strong>smembres au collectif. Celle-ci peut avoir <strong>de</strong>s eff<strong>et</strong>s positifs sur le jeune si le groupe favorise unesociabilité positive, mais le plus souvent, les eff<strong>et</strong>s sont plutôt négatifs pour l’insertion sociale <strong>de</strong>s<strong>jeunes</strong>. Des psychologues d’un <strong>de</strong>s services <strong>de</strong> Prévention spécialisée rencontrés lors <strong>de</strong>l’investigation l’ont d’ailleurs clairement exprimé : « Dans le groupe on observe une dépendance, siun va mieux, tout le mon<strong>de</strong> peut le tirer vers le bas pour gar<strong>de</strong>r une sorte <strong>de</strong> cohésion. En quelquesorte, ça rejoint le communautarisme, il y a l'idée <strong>de</strong> l'enfermement dans un groupe <strong>et</strong> <strong>de</strong> la pauvr<strong>et</strong>é<strong>de</strong>s échanges. » Souvent, c<strong>et</strong>te dépendance négative s’explique par un fonctionnement<strong>Groupes</strong> <strong>de</strong> <strong>jeunes</strong> <strong>et</strong> <strong>pratiques</strong> <strong>de</strong> prévention spécialisée – CTPS 2010 - Page 152
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