You also want an ePaper? Increase the reach of your titles
YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.
141<br />
honteux, parce que la vertu leur servait de voile, et écartait toute idée<br />
d’intempérance. Cet usage leur faisait contracter des mœurs simples,<br />
leur inspirait entre elles une vive émulation de vigueur et de force, et<br />
leur donnait des sentiments élevés, en leur montrant qu’elles pouvaient<br />
partager avec les hommes le prix de la gloire et de la vertu…<br />
« C’était aussi une amorce pour le mariage, que ces danses et ces<br />
exercices que les jeunes filles faisaient en cet état, devant les jeunes<br />
gens qui se sentaient attirés, non par cette nécessité géométrique dont<br />
parle Platon, mais par une nécessité plus forte encore : celle de l’amour.<br />
Non content de cela, Lycurgue attacha au célibat une note d’infamie : les<br />
célibataires étaient exclus des combats gymniques de ces filles ; et les<br />
magistrats les obligeaient, pendant l’hiver, de faire le tour de la place<br />
tout nus, en chantant une chanson faite contre eux, et qui disait qu’ils<br />
étaient punis avec justice pour avoir désobéi aux lois 241 . »<br />
Cette dernière disposition démontre évidemment le but du<br />
législateur : il voulait peupler sa république ; il voulait la peupler de<br />
citoyens forts, robustes et capables de la défendre avec zèle, avec<br />
vigueur. Connaissant toute l'influence des femmes sur les hommes, il<br />
forma celles-ci de manière qu’elles pussent <strong>à</strong> leur tour former au moral,<br />
comme au physique, des hommes propres <strong>à</strong> remplir ses sages intentions.<br />
241 Plutarque, Vie de Lycurgue, chap. XXI et XXII.<br />
On a beaucoup raisonné sur les institutions de Lycurgue, et notamment sur celle dont je viens de<br />
parler. On s’est beaucoup récrié sur l’indécence de ces filles offertes nues aux regards du public, et<br />
même sur l’indécence plus irritante encore de leur costume ordinaire, qui laissait en partie leurs<br />
cuisses <strong>à</strong> découvert.<br />
Pour juger sainement de pareilles institutions, on doit commencer par se dépouiller de ses préjugés,<br />
connaître ensuite la situation, le caractère du peuple où elles ont été établies, ses rapports avec les<br />
peuples voisins, les différents caractères de ceux-ci ; se reporter, s’il est possible, au temps où vivait<br />
le législateur ; connaître ses données et ses moyens.<br />
Lycurgue sentit la nécessité de former pour sa république des hommes d’une trempe extraordinaire,<br />
d’une force d’âme et de corps capable de faire prospérer son ouvrage. Il savait que les femmes<br />
contribuent beaucoup, dans une nation, <strong>à</strong> former le caractère des hommes : il étendit ses institutions<br />
jusqu’aux sources de l’existence. Il lui fallait des femmes qui ne fussent ni délicates, ni bégueules, ni<br />
timides, mais des viragos dont la plus grande vertu fut l’amour de la patrie. Cette république de<br />
Sparte, qui a fait l’admiration des anciens et des modernes, a duré plus de cinq cents ans.