Cet ouvrage a été publié avec le concours et le ... - Cour de France.fr
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Quoi qu’il en soit, la mo<strong>de</strong> n’est plus au chevalier sans peur <strong>et</strong><br />
sans reproche <strong>de</strong> la Renaissance, avant tout parce que<br />
l’épouvantab<strong>le</strong> crise mora<strong>le</strong> <strong>de</strong>s guerres <strong>de</strong> religion ne s’est pas<br />
effacée dans <strong>le</strong>s esprits. La pratique <strong>de</strong> la guerre reste certes pour<br />
l’officier, du point <strong>de</strong> vue social <strong>et</strong> même politique, une activité<br />
gratifiante; n’oublions pas que <strong>le</strong> roi <strong>et</strong> <strong>le</strong>s princes se doivent <strong>de</strong><br />
paraître à l’armée. Montaigne a fait en 1587 un bel éloge <strong>de</strong><br />
«l’occupation militaire», qui plaît en raison <strong>de</strong> son «âpr<strong>et</strong>é»<br />
même 12 . Mais la guerre ne sera plus jamais un «nob<strong>le</strong> jeu».<br />
Quelques remarques nous suffiront pour suggérer que l’éthique <strong>de</strong>s<br />
gentilshommes, qui est toujours cel<strong>le</strong> <strong>de</strong>s hommes <strong>de</strong> guerre, n’est<br />
plus aussi étroitement associée à la profession militaire <strong>et</strong> au<br />
maniement <strong>de</strong>s armes.<br />
D’abord, André Corvisier a remarqué que, en pays latin du<br />
moins <strong>et</strong> si l’on en juge d’après <strong>le</strong>s personnages qui défi<strong>le</strong>nt dans<br />
<strong>le</strong>s danses macabres <strong>le</strong> métier <strong>de</strong>s armes a cessé d’être dès <strong>le</strong> XVI e<br />
sièc<strong>le</strong> l’apanage exclusif <strong>de</strong>s gentilshommes 13 . Le discours clérical<br />
traduit ici une réalité. Or <strong>le</strong>s gentilshommes <strong>fr</strong>ançais ont une<br />
formation intel<strong>le</strong>ctuel<strong>le</strong> principa<strong>le</strong>ment gréco-latine (César,<br />
Plutarque, Sénèque), italienne (l’Arioste, <strong>le</strong> Tasse), accessoirement<br />
espagno<strong>le</strong>, <strong>avec</strong> quelques apports néerlandais ou flamands, mais on<br />
sait que Juste Lipse <strong>et</strong> Saumaise étaient eux-mêmes <strong>de</strong>s<br />
humanistes pénétrés <strong>de</strong> culture méditerranéenne: Saumaise<br />
correspondait régulièrement <strong>avec</strong> <strong>le</strong> Provençal Peiresc.<br />
Il est évi<strong>de</strong>nt que, en Italie <strong>et</strong> en Provence surtout, <strong>le</strong>s armes<br />
ne servent pas seu<strong>le</strong>ment à la guerre, mais dans <strong>de</strong>s conflits<br />
particuliers, ce qui <strong>le</strong>s avilit singulièrement. Le fils <strong>de</strong> Malherbe,<br />
conseil<strong>le</strong>r au par<strong>le</strong>ment d’Aix, a <strong>été</strong> en 1627 la victime d’une <strong>de</strong> ces<br />
expéditions punitives où un groupe <strong>de</strong> jeunes gens assassine sans<br />
remords, <strong>et</strong> à peu près sans risques, un rival tout aussi étourdi <strong>et</strong><br />
provocant. La victime était <strong>de</strong> robe, <strong>le</strong>s assassins, dont un Fortia <strong>de</strong><br />
Pi<strong>le</strong>s, <strong>de</strong>s gens <strong>de</strong> guerre. Le pur br<strong>et</strong>teur est un spadassin. En<br />
outre, l’arme à feu perm<strong>et</strong> au poltron <strong>de</strong> triompher du brave à<br />
distance, comme Ronsard l’a regr<strong>et</strong>té en 1555 déjà.<br />
Le guerrier professionnel, quand il quitte ses quartiers, n’est<br />
plus qu’un br<strong>et</strong>teur, un manieur d’épée, qu’on rail<strong>le</strong> volontiers.<br />
Impuissant contre <strong>le</strong> mousqu<strong>et</strong>, il terrorise tout au plus ceux qui<br />
pratiquent l’escrime <strong>avec</strong> moins d’habitu<strong>de</strong> que lui. Les<br />
gentilshommes qui applaudissent <strong>le</strong> Cid <strong>et</strong> se reconnaissent dans<br />
Rodrigue ne s’offusquent pas <strong>de</strong> voir Corneil<strong>le</strong> m<strong>et</strong>tre en scène, la<br />
même année, dans l’Illusion comique, un matamore absolument<br />
grotesque, <strong>et</strong> qui n’a rien <strong>de</strong> pathétique: ce malheureux se déclare<br />
importuné <strong>de</strong> trop plaire aux dames, ce qui nuit à ses <strong>de</strong>sseins<br />
guerriers; aussi menace-t-il Jupiter <strong>de</strong> «<strong>le</strong> dégra<strong>de</strong>r soudain <strong>de</strong><br />
12 Essais, Livre 3, chapitre 13.<br />
13 André Corvisier, Les Hommes, la guerre <strong>et</strong> la mort, Paris, 1985, p. 420-421<br />
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