Pas de bavards à la Muette

l’après-midi, vers cinq heures – j’avais l’intention de
dormir jusque-là –, un costard de rechange et un
imperméable, à toutes fins utiles. Je la chargeai aussi de
joindre notre copain Marc Covet, le journaliste-éponge du
Crépuscule, de lui raconter l’affaire et de lui demander d’y
aller mollo, dans la mesure du possible.
Là-dessus, rideau tiré et persiennes closes, je
m’endormis, plein de mépris pour l’activité du chantier de
construction proche.
Je rêvai que je déambulais dans une rue inconnue,
étroite et bordée d’immeubles démesurément hauts.
Hélène, toute nue, semblait alors descendre du ciel,
comme un oiseau maléfique. Quelques mètres à peine la
séparaient du sol, lorsque le corps d’un homme, vêtu de
l’uniforme de chauffeur de grande maison, venait
s’écraser sur le trottoir. Hélène tenait un revolver fumant
dans sa main droite, et je comprenais qu’avant de
précipiter l’homme dans le vide elle lui avait tiré dessus.
Elle me regardait avec reproche, l’air de me dire : « Vous
n’auriez pas dû être là ! Vous n’auriez pas dû être là ! »
Un immense désarroi me submergeait. Malgré tout mon
désir, je ne pourrais pas sauver Hélène. Elle venait de
tuer cet homme sous mes yeux. Une voix ricana
sarcastiquement : « Toujours aux premières loges, Nestor
Burma ! Un don. Ce n’est pas normal. Tu devrais te
soigner. Te soigner. » Le ricanement se transformait en
murmure, le murmure que produisent les feuilles agitées
par le vent : « Ce n’est pas normal. Pas normal. Pas
normal. Premières loges. » *