Pas de bavards à la Muette

Avouez que c’est un monde, tout de même. Vous me
convoquez. Je rapplique gentiment. Et vous commencez
par m’insulter ou peu s’en faut.
— C’est juste, grogna-t-il. Je me suis laissé emporter.
En général, je ne m’emporte pas. Je suis doux et patient.
Très patient.
Il dit ça d’un ton mauvais, perfide. Ses yeux injectés
reflétèrent une sale lueur. Oui, il devait savoir se montrer
patient, parfois. À tout prendre, je préférais ses coups de
gueule.
— … J’ai cru qu’avec vous il fallait se montrer brutal.
— Ni brutal ni patient, répliquai-je. Simplement
honnête. Vous m’avez convoqué. C’est sans doute parce
que vous avez quelque chose à me dire. Dites-le et que ce
soit fini.
Il pivota, alla s’asseoir derrière une table, ouvrit un
tiroir, en sortit de quoi s’humecter la dalle et se l’humecta,
effectivement. Ce n’était pas pour se donner du courage.
C’était simplement qu’il devait avoir souvent soif. Il
rangea son fourbi et digéra en silence. Je tirai sur ma pipe.
Dans le jardin, le gravier de l’allée crissa sous les pas d’un
promeneur. Par la fenêtre, je vis passer… comment
s’appelait-il, déjà ?… André, je crois… oui, André Ailot, le
fils de la maison qui semblait rôder comme une âme en
peine. Le père Ailot lui lança un sale œil. Il devait souffrir
du foie, le père Ailot. Et ce n’étaient pas les bitures
clandestines qu’il devait prendre qui l’arrangeraient.
— Je n’aime pas les détectives privés, dit-il, en
revenant à moi.
Encore un. Quand nous serions à cent…