Pas de bavards à la Muette

— Allons, allons. Je suis là, moi. Les flics privés s’y
entendent, à arrondir les angles. Ils n’existent que pour
ça. Votre histoire n’est pas très claire, mais moins c’est
clair, mieux je m’y retrouve, moi…
Affirmation gratuite. Je me sentais la tête lourde.
— … Hum… excusez-moi, je ne voudrais pas passer
pour un de ces détectives qui fonctionnent au
supercarburant, mais vous n’auriez pas quelque chose de
raide à m’offrir ? Je sens qu’il va falloir que j’active mes
méninges.
Elle retira de ses mains son visage crispé :
— Nous devons avoir du whisky, dit-elle, comme dans
un songe.
Et elle se leva et sortit de la pièce, emportant avec elle
comme une odeur. Pas un parfum. Une odeur. L’odeur de
quelqu’un qui transpire abondamment sous l’effet d’une
émotion violente. Le scandale. La trouille du scandale.
Non, ce n’était pas si simple qu’elle se l’était imaginé, de
récupérer ses bijoux. Et coucher avec son chauffeur
engendrait des complications… Elle revint, portant un
plateau garai de deux verres et d’un flacon rebondi
contenant un sympathique liquide ambré.
— Je crois que j’en prendrai aussi, dit-elle, en déposant
le plateau à ma portée. Ce n’est pas mon habitude, mais…
Elle se rassit sans terminer sa phrase.
— Pas d’eau gazeuse ? Pas de glace ? demandai-je.
— Non, je… je ne savais pas. Je n’ai pas l’habitude,
répéta-t-elle, avec un frêle sourire sur ses lèvres
exsangues.
— Aucune importance. Ça se laisse très bien boire pur.