Pas de bavards à la Muette

Je réintégrai ma chambre.
J’en étais parti en laissant la fenêtre ouverte et la pluie
avait fait des dégâts sur le parquet bien ciré. Il ne pleuvait
plus. Cet Yves Bénech devait être une variété de
tempestaire. Il amenait la flotte avec lui et il suffisait de le
quitter pour qu’elle cesse. Un vrai korrigan. Je bouclai la
fenêtre, encore qu’il fût un peu tard, maintenant, mais la
température s’était rafraîchie, et m’assis sur le lit, une
nouvelle pipe au bec. Sans être exactement mal foutu, je
me sentais tout drôle. Ce n’était pas le gin. Il me semblait
que quelque chose ne tournait pas rond. Mais c’est
souvent que, dans mon métier, on ressent cette
impression. Et souvent, ce n’est rien qu’une impression.
Pas toujours, toutefois… Ma pipe terminée, secouée et
curée, je délaçai une de mes godasses. C’est alors que je
perçus comme un mouvement furtif dans le couloir.
Je m’immobilisai, l’oreille aux aguets. Quelqu’un passa
devant ma carrée, marqua un temps, puis repartit.
J’éteignis la calbombe, et entrebâillai sans bruit la porte.
Personne dans le couloir, mais à son extrémité, à la lueur
de la veilleuse anémique, je vis une silhouette disparaître
dans l’escalier. Imper et chapeau gris. Plus ou moins la
découpe d’Yves Bénech. Certainement lui. Il avait sans
doute suffisamment réfléchi et le fruit de ses réflexions le
poussait à une balade nocturne. Je rajustai ma chaussure
en vitesse, raflai mon bitos et m’élançai sur les traces du
Don Juan à gages. En bas, dans le hall de l’hôtel, un vieux
que j’avais aperçu pour la première fois ce soir, en
rentrant du restaurant, montait la garde : un veilleur de
nuit casqué de neige qui ricana :