Pas de bavards à la Muette

Il bâilla :
— … Je vais aller m’en jeter un au bistrot qui fait le
coin de la rue de la Tour.
— Bonne idée.
Et nous repartîmes du même pas alpin, passant devant
des maisons aux halls illuminés, spacieux comme ceux des
gares, certes plus élégants, mais à peu près aussi chauds
et, en tout cas, dépourvus de pittoresque. Nous
approchions du carrefour que j’avais déjà eu l’occasion,
dans l’après-midi, de traverser derrière mon bonhomme,
quand il se rendait rue de l’Alboni. Nous en distinguions
les lumières que les cafés riverains, et notamment le bartabac
de la rue Franklin, répandaient sur la chaussée, et
que les carrosseries des autos accrochaient au passage,
mais les quelques mètres de la rue Raynouard qui nous en
séparaient encore étaient déserts et, par contraste, assez
sombres. C’est alors que mon compagnon parut se raidir,
bander ses muscles, comme en prélude à une brusque
attaque. Le signal d’alarme fonctionna trop tard ou c’était
un gars qui savait être rapide, le cas échéant. Et puis, si je
m’attendais à un turbin pareil… Il me bouscula, se
précipitant sur moi de tout son poids pour me faire perdre
l’équilibre. Je ne compris pas tout de suite ses intentions.
Il ne prétendait tout de même pas vouloir me fracasser la
cafetière contre le mur, non ? Le mur ? Tu parles, le mur !
Il n’existait pas de mur, justement là, et il ne l’ignorait
pas, lui qui connaissait le quartier. Un étroit passage
s’ouvrait entre deux immeubles, un passage constitué par
un escalier qui dégringolait à pic vers des terrains
s’étendant derrière la rue Charles-Dickens, du moins je le