Pas de bavards à la Muette

Lamballe. Par-delà la rue Berton, le pinceau lumineux du
phare tournant de la tour Eiffel se brisait à intervalles
réguliers contre les nuages. Le chauffeur s’accota à la
rampe qui sépare à cet endroit, sur quelques mètres, la
rue Raynouard de la rue Berton en contrebas. Il paraissait
hésiter sur l’itinéraire à suivre.
— On devrait rentrer, suggérai-je.
Il grogna :
— Qui t’en empêche ?
Il pivota, s’accouda à la rampe et cracha son mégot
par-dessus. Le mégot tomba trois mètres plus bas dans
une flaque de flotte où il s’éteignit en grésillant.
— Tu n’as pas l’intention de me faire visiter la maison
de Balzac, j’espère, hein ? dis-je.
Il se retourna :
— Balzac ?
— Honoré de son prénom, comme le gros chauve de La
Muette, qui, d’ailleurs, ne s’appelle pas Honoré. Balzac !
Un type dans mon genre. Une grosse tête et toujours
fauché. Il demeurait là, rue Berton.
— Rue Berton ?
Je la lui désignai :
— Une maison truquée, avec trappe secrète pour fuir
les créanciers.
Il haussa les épaules :
— Qu’est-ce que ça peut me foutre ?
Fermé à l’anecdote littéraire, le gars. Peut-être que sur
le terrain professionnel…
— Qu’est-ce que tu penses de la nouvelle Citron ?
— La nouv… Oh ! la barbe !