Pas de bavards à la Muette

le juif avait été ainsi arrangé. J’enveloppai ma main dans
un mouchoir, ouvris avec précaution le registre déglingué
et y jetai un coup d’œil. De l’hébreu, pour moi. Des chiffres
et des signes ou mots conventionnels. Je n’avais pas le
temps de jouer au décrypteur. Je refermai le bouquin.
En contournant le bureau, je me pris les pieds dans un
fil téléphonique. Celui de branchement sur la ligne. Il avait
été arraché. Voilà pourquoi je n’avais pu obtenir la
communication, après qu’on m’eût envoyé promener. Si le
combiné avait seulement été décroché, ça aurait sonné
« pas libre ». Le téléphone… Ce n’était pas Rosembaum
qui m’avait répondu. Rosembaum, je ne le connaissais pas
et, maintenant, il était un peu tard pour faire
connaissance. Le type qui m’avait répondu, celui qui avait
assaisonné le juif, c’était… oui, je croyais savoir qui c’était.
Je revins auprès du cadavre de Rosembaum. Inutile de
le bouger pour voir s’il avait reçu, dans le dos ou ailleurs,
un coup du fameux coupe-papier. Nous n’en serions plus
gras ni l’un ni l’autre.
C’était un vieux petit juif courageux et coriace, tenace
et obstiné, que son ou ses agresseurs avaient laissé pour
mort et qui avait lutté contre cette mort tant qu’il avait
pu. Un petit juif qui ne se laissait pas abattre, qui bataillait
jusqu’à épuisement et qui avait plus ou moins l’âme
chevillée au corps. Si le téléphone n’avait pas été rendu
inutilisable, il aurait certainement donné l’alerte. Ça
n’aurait pas servi à grand-chose, mais il l’aurait fait. Et
lorsque j’avais sonné, il s’était traîné du bureau jusqu’à la
porte palière, en dépit de son état comateux, bousculant
un vase, se heurtant aux meubles, raflant au passage,