Pas de bavards à la Muette

d’excellentes places et les messieurs à qui je les procure
me ristournent un peu de monnaie.
— Suffisamment pour vous faire vivre ?
— Non. J’ai autre chose.
— C’est peut-être cette autre chose qui m’intéresse.
Il se mit à rire. Un rire frais, franc et loyal, dont je ne
l’aurais pas cru capable.
— Je ne regrette pas de vous avoir suivi, monsieur, ditil,
une fois son hilarité apaisée. Vous tenez des propos
amusants. Incompréhensibles, mais amusants. À moins
que vous n’ayez été chargé par le percepteur de mon
quartier d’enquêter sur mes sources de revenus…
— Je ne rigole pas. Quelle est cette autre chose ?
— Un de mes anciens patrons, le poète dont je vous ai
parlé, en reconnaissance de mes dévoués services, m’a
légué une somme assez rondelette, à sa mort. Comme je
n’ai pas de très gros besoins, le produit de cet héritage et
mes petits pourcentages…
— En somme, votre bureau de placement, vous le
tenez pour l’amour de l’art ? Pour l’honneur, si j’ose dire ?
— Avez-vous été valet de chambre, monsieur ?
Il me demanda cela d’une voix étrange, changée,
tellement changée que je me tournai brusquement vers
lui, m’attendant à trouver quelqu’un d’autre que M. René
à mes côtés. Non, non, il était toujours là, c’était toujours
lui, gros et chauve. À la lueur de la lampe du tableau de
bord, je vis son visage revêtir une indéfinissable
expression.
— J’ai fait beaucoup de métiers, sauf celui-là, dis-je.
— Moi, je l’ai été, articula-t-il, de sa nouvelle voix, un