Pas de bavards à la Muette

— Je ne pourrais pas quoi ? demandai-je.
Elle ne répondit pas tout de suite. Son regard quitta le
mien, se fixa avec intention sur le fric que je lui avais
restitué, les cent mille balles qui étaient restés sur le petit
meuble où je les avais déposés. Du fric son regard revint à
moi :
— Certes, ce n’est pas une grosse somme. Mais, en
attendant… je veux dire… si vous acceptiez de…
Elle n’alla pas plus loin. Je secouai la tête.
— Je ne crois pas pouvoir accepter, dis-je. Je ne suis
pas un ange, et cent mille points c’est bon à prendre,
comme dit l’autre, surtout si une rallonge est possible,
mais c’est trop grave. Qu’elle l’ait tué avec préméditation,
qu’elle n’ait pas su ce qu’elle faisait ou que ce soit un
accident – vous voyez que j’ai l’interprétation plutôt large
–, le coup est le même. Le type est mort. Je ne peux
couvrir ça, quel que soit le prix qu’on y mette. On
découvrira le macchabée un jour ou l’autre, même si
j’allais le fiche à la Seine – et il est absolument exclu que je
me mouille à ce point –, et on apprendra que j’ai été en
rapport avec lui, quand il tenait encore sur ses jambes, et
de fil en aiguille… Même en l’absence du cadavre, la
disparition de Bénech sera signalée par l’hôtelier. Et les
flics établiront sans effort que j’ai pris une chambre dans
son hôtel, que j’ai interrogé la bonniche sur son compte,
qu’elle m’a facilité une entrevue avec lui, que je suis sorti
immédiatement derrière lui lorsqu’il a quitté l’hôtel, cette
nuit, pour n’y plus revenir, et que l’appel téléphonique
d’une dame m’a touché à deux heures du matin. Ces deux
derniers détails, le veilleur de nuit les a remarqués.