Pas de bavards à la Muette

pages blanches. Entre autres adresses, figurait celle de la
baronne d’Aurimont, mais je la connaissais déjà. Dans le
portefeuille, je trouvai un peu de fric, les papiers
d’identité habituels et une photo d’amateur représentant
Suzanne en bikini.
Je me redressai et contemplai le mort.
Le charger sur mon dos et aller le balanstiquer à la
Seine, cette vieille bonne serviable Seine ! Mieux !
l’enterrer dans le jardin ou la cave, s’il y en avait une. Ce
serait simple, sinon de bon goût, et ça couperait court à
tout. On soignerait Suzanne. Ça devait se soigner. Tu
parles ! C’est toi qui devrais te soigner, Nestor Burma !
Oui, certainement.
Je lui remis tout son bazar en fouille.
— À tout à l’heure, mon pote, dis-je.
Ma voix glissa sur lui et alla mourir – elle aussi — :
contre les plis des rideaux de velours, en rendant un son
malheureux.
Je regagnai la rue.
À l’est, une traînée blanche commençait à grignoter la
nuit. Comme toujours aux premières heures matinales, la
fraîcheur était plus sensible. Je frissonnai et relevai le col
de mon veston. Dans les arbres de l’ambassade de
Turquie, les oiseaux, qui en avaient suffisamment bavé
pendant ce rude hiver, s’égosillaient, saluant l’aube
naissante d’une autre journée printanière, vive, légers et
insouciants. Heureux piafs ! Gavroches à plumes ! Moi, je
me sentais la gueule pâteuse, brûlée par le tabac.
Tournant le dos à ma bagnole, que j’avais laissée à
l’autre bout, au pied de l’escalier, je continuai à descendre