Pas de bavards à la Muette

t’avertis. De conduire une bagnole ne m’a pas rouillé. J’ai
de bonnes guibolles. T’en auras ta claque avant moi.
— Je ne suis pas manchot des guibolles non plus, moi, si
tu comprends ce que je veux dire.
— Merde, cracha-t-il. Tea et ton blablabla !
Il leva les yeux au ciel, autant pour l’implorer, le
prendre à témoin, que pour en tirer des conclusions
météo :
— Eh bien, baladons-nous, se résigna-t-il.
Et, sans se soucier de mes préférences en matière de
direction, il démarra, allongeant d’autor le compas. Nous
prîmes la rue des Vignes, où il n’y a pas de vignes, s’il y en
eut jadis. Histoire de manifester son indépendance ou sa
mauvaise humeur, Bénech avait sorti un objet métallique
de sa poche, sans doute une clef, et tout en marchant, il en
heurtait les barreaux de la grille que nous longions. À
l’instar des gosses. Plus puéril qu’un gosse. Un fortiche. Ça
agaçait un peu les dents, mais je ne dis rien. On verrait
bien lequel se lasserait le premier. Nous parvînmes à la
hauteur des immeubles de rapport que des jardinets
domestiqués, et protégés par des murs, séparent de la
rue. Les murs se prêtaient peu au manège bruyant du
chauffeur. Il le cessa, rengaina son instrument de musique
concrète, mais n’en fut pas plus bavard pour autant.
Le ronron d’un moteur naquit derrière nous. Une auto
nous dépassa, ralentit et se casa de justesse entre deux
autres voitures en stationnement pour la nuit. Un jeune
type descendit de l’auto en sifflotant, traversa la rue,
rencontra en chemin une vieille boîte de calendo échappée
d’une poubelle. Il shoota dedans, l’expédiant sur le