Pas de bavards à la Muette

moment, elle s’étrécit jusqu’à ne permettre que
difficilement le passage à deux personnes marchant de
front. Toutefois, nous aurions pu nous engager un peu
plus avant, mais il était inutile de signaler prématurément
notre arrivée, ce que n’aurait pas manqué de faire le
moteur, si discret qu’il fût. En admettant qu’il y eût
quelqu’un là où nous allions, évidemment Mme Ailot me
paraissait prompte à s’emballer et mon avis était que
cette expédition ne rimait à rien. Enfin, nous verrions
bien. En attendant, nous trébuchions sur les pavés
inégaux, les mêmes, j’ai plaisir à l’imaginer, qui
occasionnèrent des entorses aux créanciers de Balzac
venant harceler l’écrivain, car ce pavage a l’air d’époque.
On n’en trouve plus, comme ça, sauf en certaines
banlieues. Nous avancions sans rien dire. C’était ma
spécialité, cette nuit-là. Je me baladais qu’avec des
taciturnes. Dans le parc de l’ambassade de Turquie, dont
nous longions les arrières, les arbres murmuraient
doucement sous l’action d’une brise chargée d’humidité.
Le lierre qui recouvrait le faîte du mur de clôture
retombait en lourdes grappes sombres le long de la
maçonnerie écaillée par les ans. Environ au milieu de la
rue, un réverbère d’ancien modèle, sa lanterne
ressemblant vraiment à une lanterne, son manchon à gaz
remplacé par une ampoule électrique, éclairait les pavés,
en précisant l’assemblage chaotique. Il se dressait auprès
d’une borne qu’une de ces plaques si prisées dans le
secteur indiquait comme ayant marqué jadis les limites
des seigneuries d’Auteuil et de Passy. Ce réverbère
s’empara de nos ombres et les allongea devant nous