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435 DE LA CENE. 436<br />
Pour nous sustenter donc en ceste vie, il n'est<br />
pas question de repaistre noz ventres de viandes<br />
corruptibles et caducques, mais de nourrir noz âmes<br />
de pasture meilleure et plus précieuse, [pag. 7] Or<br />
toute l'Escriture nous diet que le pain spirituel, dont<br />
noz âmes sont entretenues, est la mesme parolle<br />
par laquelle le Seigneur nous a régénérez: mais elle<br />
adiouste quant et quant la raison, d'autant que en icelle<br />
Iesus Christ, nostre vie unique, nous est donné et<br />
administré. Car il ne fault pas estimer qu'il y ayt<br />
vie ailleurs qu'en Dieu. l ). Mais tout ainsi que Dieu<br />
a constitué toute plenitude de vie en Iesus, à fin<br />
de nous la communiquer par son moyen: aussi il a<br />
ordonné sa parolle comme instrument, par lequel<br />
Iesus Christ, avec toutes ses graces, nous soit dispensé.<br />
Ce pendant, cela demeure tousiours vray,<br />
que noz âmes n'ont nulle autre pasture que Iesus<br />
Christ. Pourtant, le Père celeste, ayant la solicitude<br />
de nous nourrir, ne nous en donne point d'aul—<br />
tre: mais plustost nous recommande de prendre là<br />
tout nostre contentement, comme en une refection<br />
plainement suffisante, de laquelle nous ne nous po-<br />
> vons passer, et oultre laquelle il ne s'en peult [pag. 8]<br />
trouver nulle aultre.<br />
Nous avons desia veu comment Iesus Christ<br />
est la seule viande dont noz âmes sont nourries:<br />
mais pource qu'il nous est distribué par la parolle<br />
du Seigneur, laquelle il a destinée à cela, comme<br />
instrument, qu'elle 8 ) est aussi appellee pain et eaue.<br />
Or, ce qui est diet de la parolle il 3 ) appartient aussi<br />
bien au Sacrement de la Cène, par le moyen duquel<br />
le Seigneur nous meine à la communication<br />
de Iesus Christ. Car d'autant que nous sommes<br />
si imbecilles, que nous ne le povons pas recevoir<br />
en vraye fiance de cueur, quand il nous est présenté<br />
par simple doctrine et predication, le Père<br />
de miséricorde, ne desdaignant point condescendre<br />
en cest endroict à nostre infirmité," a bien voulu<br />
adiouster avec sa parolle un signe visible par lequel<br />
il representast la substance de ses promesses, pour<br />
nous conformer et fortifier, en nous délivrant de<br />
toute doubte et incertitude. Puis doncq que c'est<br />
un mystère tant hault et incomprehensible, [pag. 9]<br />
de dire que nous ayons communication au corps et<br />
au sang de Iesus Christ, et que de nostre part nous<br />
sommes tant rudes et grossiers, que nous ne povons<br />
entendre les moindres choses de Dieu, il estoit de<br />
mestier qu'il nous feust donné à entendre, selon que<br />
nostre capacité.le povoit porter. Pour ceste cause<br />
le Seigneur nous a institué sa Cène, à fin de signer<br />
et seeller en nöz consciences les promesses contenues<br />
1) Car il lie fault .... en Dieu. Cette phrase est omise<br />
dans la traduction latine.<br />
2) qu'elle 1541—1549; elle 1566 ss.<br />
3) il, est omis à partir de 1566.<br />
en son Evangile, touchant de nous faire participans<br />
de son corps et de son sang: et nous donner certitude<br />
et asseurance qu'en cela gist nostre vraye<br />
nourriture spirituelle, à ce que ayant un telle arre,<br />
nous concepvions droicte fiance de salut. Secondement,<br />
à fin de nous exerciter à recongnoistre sa<br />
grande bonté sur nous, pour la louer et magnifier<br />
plus amplement. Tiercement, à fin de nous exhorter<br />
à toute saincteté et innocenco, entant que nous<br />
sommes membres de Iesus Christ : et singulièrement<br />
à union et charité fraternelle, comme [pag. 10] elle<br />
nous y est en special recommandée. Quand nous<br />
aurons bien noté ces troys raisons, que le Seigneur a<br />
regardées en nous ordonnant sa Cène, nous aurons<br />
desia une entrée à bien entendre, et quel proffit<br />
nous en revient, et quel est nostre office pour droictement<br />
en user.<br />
Il est doncq temps de venir au deuxiesme ')<br />
point: à sçavoir, de monstrer combien la Cène du<br />
Seigneur rious est proffitable, moyennant que nous<br />
en facions bien nostre proffit. 2 ) Or, nous congnoistrons<br />
l'utilité, en reputant nostre indigence, à<br />
laquelle elle subvient. Il est nécessaire que nous<br />
soyons en merveilleux trouble et torment de conscience,<br />
ce pendant que nous regardons qui nous<br />
sommes et examinons ce qui est en nous. Car il<br />
n'y a celuy de nous qui puisse trouver un seul grain<br />
de iustice en soy: mais au contraire, nous sommes<br />
tous plains de péché et iniquité: tellement qu'il ne<br />
fault point aultre partie pour nous accuser que nostre<br />
conscience, [pag. il] ne aultre iuge pour nous<br />
condamner. Il s'ensuit doncq que l'ire de Dieu<br />
nous est appareillée, et qu'il n'y a nul qui puisse<br />
esehaper de la mort éternelle. Si nous ne sommes<br />
endormis et stupides, il fault que ceste horrible cogitation<br />
nous soit comme une géhenne perpétuelle<br />
pour nous vexer et tormentor. Car le iugement de<br />
Dieu ne nous peult venir en memoire que nous ne<br />
voyons nostre condamnation s'en ensuyvro. Nous<br />
sommes donc desia au gouffre de la mort, sinon que<br />
nostre bon Dieu nous en retire. D'avantage, quelle<br />
espérance de resurrection povons nous avoir, en<br />
considérant nostre chair, qui n'est que pourriture<br />
et vermine? Ainsi, tant selon l'ame que selon le<br />
corps, nous 3 ) sommes plus que miserables, si nous<br />
demourons en nous mesmes; et ne se peut faire que<br />
nous n'ayons une grande tristesse et angoisse du<br />
sentiment d'une telle misère. Or, le Père celeste,<br />
pour subvenir à cela, nous donne la Cène, comme<br />
1) Cest ainsi, que lisent toutes les éditions tant françaises<br />
que latines à partir de 1542. Celle de 1541 met: troisiesme.<br />
2) Le traducteur a exprimé cette pensée d'une manière<br />
beaucoup plus juste: modo eum (fructum salutarem) percipere<br />
et coïligere vefimus.<br />
3) L'édition de 1541 met par erreur: ne sommes.