A representação feminina nos lendários gaúcho e quebequense
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– C'est bon! laissons-la aussi longtemps que possible cette marque du diable,<br />
puisque le malheur ne doit arriver que lorsqu'elle sera effacée.<br />
couvercle.<br />
Il courut à la maison chercher une cuve, et la mit sur le signe fatal, en guise de<br />
Mère Malheur, tour à tour riant et maudissant, monta la route de Charlesbourg, et vint<br />
s'arrêter un instant sous le vieil arbre qui ombrageait la Couronne de France.<br />
Deux ou trois habitants vidaient, en causant, leur gobelet de cidre. Ils s'empressèrent<br />
de lui faire place.<br />
Elle s'assit, les fixa de ses petits yeux rouges et leur causa tant d'effroi, ou de<br />
répugnance, qu'ils s'éloignèrent l'un après l'autre et la laissèrent seule.<br />
Dame Bédard et sa fille Zoé vinrent la trouver. La conversation s'engagea aussitôt. Zoé<br />
voulait savoir le bonheur qui l'attendait dans son ménage. Elle pria la sorcière de soulever un<br />
coin du voile qui lui dérobait l'avenir.<br />
Mère Malheur se rendit à ses désirs et lui dit une foule de choses agréables, sans doute,<br />
car après son départ, la jeune fille affirma que jamais diseuse de bonne aventure ne pouvait<br />
deviner la vérité et lire dans l'avenir comme cette bonne vieille. Elle la trouvait une bonne<br />
vieille; et les gens qui parlaient mal d'elle, étaient tous des mauvaises langues.<br />
Quand elle raconta à sa mère les prédictions qui venaient d'être faites à son sujet, sa mère<br />
se mit à rire et fut toute joyeuse comme une aïeule près du berceau de son premier petit-fils.<br />
Mère Malheur ne savait pas au juste pourquoi elle se rendait à Beaumanoir, mais elle<br />
flairait du sang et cela lui donnait du courage.<br />
Elle se remit en route, et vite, vite! la main crispée sur sa canne noueuse, laide comme<br />
un gnome, un rayon du feu de l'enfer dans les yeux, elle entra dans la forêt.<br />
Ses pieds maudits fouillaient dru et reculaient, avec un bruit sec, les feuilles de<br />
pourpre et de safran tombées des rameaux, pour faire un tapis au sol flétri. Le ciel était d'azur,<br />
l'air frais et embaumé, mais pour elle tout paraissait ténèbres. Elle haïssait les splendeurs de<br />
Dieu.<br />
C'était l'été de la Saint-Martin, l'été des Sauvages, comme disent les habitants, et la<br />
nature, à la veille de s'endormir dans le tombeau de l'hiver, sous son épais linceul de neige,<br />
prodiguait comme pour se faire regretter davantage, dans une heure de douce ivresse, ses<br />
charmes ravissants et ses glorieuses beautés.<br />
Mère Malheur abominait les rayons de lumière qui jouaient dans les feuillages<br />
éclatants, les oiseaux qui chantaient de bonheur, les souffles parfumés qui murmuraient<br />
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