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— C’est pourtant l’île d’Elbe.<br />
— Une île, ça ? Un rocher, oui.<br />
Napoléon faisait la moue, ses lorgnons sur le nez et le nez<br />
collé contre la carte de la Méditerranée.<br />
— La côte semble proche, dit-il.<br />
— Piombino est à environ trois ou quatre lieues d’Elbe.<br />
Voyez, sire…<br />
— Je vois les rivages de la Toscane. Ces gens ne m’aiment<br />
guère, ils pleurent encore leur grand-duc Léopold. Ils vivent<br />
dans un jardin mais je les sais hostiles.<br />
— Ils sont aussi rebelles que couards, Votre Majesté n’a pas à<br />
s’inquiéter.<br />
— Hé ! mon royaume n’est pas si loin de Rome…<br />
— À quarante-cinq lieues, en effet, et Naples à quatre-vingtcinq.<br />
— Voilà qui nous ouvre des perspectives…<br />
L’Empereur avait souri et il mordillait en rêvant le manche<br />
de son lorgnon. Il battit des mains quand Octave lui présenta un<br />
fascicule qu’il venait de dénicher au fond d’un rayon, Notice sur<br />
l’île d’Elbe, par un auteur anonyme, et, surtout, le récent<br />
Voyage à l’île d’Elbe d’Arsène Thébaut, plus complet. « À la<br />
bonne heure ! dit-il. Apprenons notre royaume ! » Il lut<br />
jusqu’au soir, méditait parfois à voix haute : « Ces gaillards ont<br />
des mœurs plutôt rudes, des marins, des pêcheurs… » ou : « Si<br />
les lièvres mangent toutes ces herbes aromatiques dans le<br />
maquis, en gibelotte ils doivent avoir un sacré goût, ne croyezvous<br />
pas, messieurs ? Allons ! Tout ne paraît pas si affreux, sur<br />
cet îlot… Il y a même des mines d’or inexploitées. » Ce qu’il<br />
apprenait de Paris ne retenait plus son attention, peu lui<br />
importait que les royalistes aient replacé la statue d’Henri IV<br />
sur le Pont-Neuf, il vadrouillait par l’imaginaire entre des<br />
buissons de genévriers et ces figuiers qui poussent tordus au<br />
milieu des rochers. Il était déjà parti. Ses regrets prenaient<br />
désormais une teinte plus historique et lointaine, il évoquait les<br />
Étrusques qui exploitaient l’île d’Elbe, débusqua dans L’Énéide<br />
trois cents guerriers venus de là pour débarquer en Ausonie<br />
avec Énée : « Elbe fournit à la fois son fer et ses soldats »,<br />
chantait Virgile. « Tout de même, disait-il d’une voix paisible,<br />
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