30.06.2013 Views

Undaunted

Undaunted

Undaunted

SHOW MORE
SHOW LESS

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

Silésie, guindés dans de hauts collets, qui retenaient leurs<br />

chevaux et laissaient derrière eux des chapelets de crottin. Ils<br />

arrivèrent au Palais-Royal. Le soir tombait. Les lampions et les<br />

fenêtres s’allumaient autour des jardins. Il y avait une fête au<br />

café de Savoy, repaire attitré des royalistes où la police<br />

impériale ne s’était jamais montrée officiellement. Sous les<br />

arcades en bois de la galerie, les filles déambulaient à nouveau<br />

et d’un geste de l’épaule, d’un œil profond, aguichaient les<br />

militaires. Des échoppes, sous des tentes à rayures, proposaient<br />

du vin au tonneau. La fumée des rôtisseurs piquait les yeux,<br />

Octave et le marquis avançaient dans ce brouillard gras qui<br />

s’accrochait aux habits, le long des boutiques où des mignonnes,<br />

costumées en vendeuses de colifichets, tentaient de vous attirer,<br />

tout au fond, derrière des paravents. Après une vitrine qui<br />

signalait en lettres dorées « Aux artistes décrotteurs », ils<br />

pénétrèrent au rez-de-chaussée d’un restaurant bondé<br />

d’officiers braillards aux redingotes vertes ; ils avaient empilé<br />

leurs casques d’acier sur le plancher et ils chantaient. Le portier<br />

salua La Grange en montrant l’escalier.<br />

À l’étage, ils retrouvèrent le général Sacken, perruque<br />

poudrée et bandeau de cuir sur un œil, le col défait, attablé avec<br />

sa suite dans un salon à l’orientale. Multipliés par les glaces qui<br />

tapissaient les quatre murs, enfumés par des braseros qui<br />

dégageaient un nuage d’encens, les soldats plongeaient leurs<br />

fourchettes dans les plats, ils déchiraient comme des goinfres<br />

des filets de perdrix en sauce, se farcissaient le gosier de<br />

concombres à la moelle ou de betteraves blanches sautées au<br />

jambon, tout cela très arrosé de vins épais qui brûlaient<br />

l’estomac, avec des rires et des phrases beuglées. Quelques-uns,<br />

déjà ivres, titubaient jusqu’aux fenêtres grandes ouvertes, ils<br />

s’esclaffaient entre deux rots, lançaient des pièces d’or aux<br />

citadins rassemblés sous les arbres ; des lanternes de couleur,<br />

pendues aux branches, éclairaient ces mendiants en rouge<br />

comme des diables, et ils grouillaient, jouaient des coudes, se<br />

battaient, tendaient leurs coiffes pour recueillir la monnaie qui<br />

tombait en pluie.<br />

Le général baron Sacken avait le menton brillant de sauce et<br />

l’œil embué. Du pilon qu’il tenait à la main pour le ronger, il<br />

53

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!