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En début d’après-midi, au moment où l’Empereur subissait<br />
un interminable Te Deum dans l’église voisine, M. Pons avait<br />
surpris Octave dans le réduit où il faisait un semblant de<br />
toilette, car Sa Majesté détestait les mentons en friche. À peine<br />
avaient-ils échangé trois phrases un peu aigres que le souspréfet<br />
les avertit :<br />
— Il arrive !<br />
L’Empereur avançait maintenant sous les platanes de la<br />
place d’Armes, toujours au milieu d’une foule, dans le vacarme<br />
incessant, et il n’avait plus que quelques mètres à parcourir<br />
pour entrer dans la mairie où il avait prévu de tenir audience.<br />
Pour cela, le salon officiel avait été modifié. On avait juché le<br />
fauteuil du maire, décoré de papier doré, sur l’estrade de l’école.<br />
On avait collé au mur des N découpés dans du carton, posé des<br />
candélabres de cristal, accroché un grand tableau réaliste qui<br />
représentait la pêche au thon dans le golfe de Procchio. Des<br />
musiciens, réfugiés dans un angle de la pièce, accordaient leurs<br />
instruments, trois violons et deux harpes.<br />
Octave et M. Pons demeurèrent en retrait lorsque Napoléon,<br />
sur son trône de fantaisie, donna audience aux Elbois. Triés par<br />
le sous-préfet, canalisés par des couloirs exigus, les privilégiés<br />
avançaient pour entendre l’Empereur. Ils étaient curieux et<br />
déférents, et lui, à l’aise comme aux Tuileries devant un parterre<br />
de princes, il parlait. Il connaissait si bien les problèmes et la<br />
géographie de l’île que ses auditeurs étaient subjugués, mais<br />
M. Pons savait que les notables, ce matin, lui avaient<br />
communiqué leurs registres et qu’il les avait assimilés. En<br />
français ou en italien selon ses interlocuteurs, Napoléon<br />
répondait à chacun avec pertinence et sûreté, il trouvait des<br />
solutions pour développer le commerce des sardines à Porto<br />
Longone, l’exploitation du sel ou la culture du blé, hélas réduite<br />
au seul canton de Campo. Il parla de l’excellente purée de<br />
marrons dont on faisait ici son ordinaire, de la calamité noire<br />
qui sert à aimanter les boussoles, des plantes médicinales qu’on<br />
ne cueillait nulle part ailleurs. Il évoqua les Étrusques, et les<br />
Romains qui avaient taillé dans le marbre gris-vert de l’île les<br />
colonnes de leurs portiques. Il raconta les Lombards, les<br />
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