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— Les taudis, à Paris, j’en ai fréquentés, je vous jure, mais là,<br />
vraiment, ça dépasse tout !<br />
— Ne soyez pas excessif, monsieur Sénécal, et puis vous<br />
aiderez l’Empereur à les civiliser.<br />
Octave avait été réveillé par la lumière du jour, très tôt, dans<br />
la maison familiale de Gianna, parce qu’il n’y avait aucun volet,<br />
et il avait cru cauchemarder en regardant autour de lui. Dans un<br />
grand lit sommaire, sans draps ni couvertures, s’alignaient sept<br />
ou huit dormeurs, de la grand-mère au mioche, entièrement<br />
nus, et lui aussi. Il s’était levé d’un bond en repoussant le bras<br />
de Gianna et sa jambe droite qui le clouaient sur la paillasse.<br />
Bien sûr, elle était gironde, et sa sœur aussi, mais quoi ? Il avait<br />
cherché à tâtons ses vêtements qu’il trouva parmi d’autres, sur<br />
la terre battue du sol, les épousseta en les secouant, s’habilla<br />
sans bruit et se sauva dans les rues en pente et les escaliers<br />
déserts. À l’aube, il avait longtemps attendu sur le perron de la<br />
mairie, dont la porte était close, puis des persiennes s’ouvrirent,<br />
des stores se levèrent, l’activité reprit, des ouvriers vérifiaient la<br />
solidité des estrades en sautant dessus à pieds joints, des<br />
hommes grimpés sur des échelles accrochaient des guirlandes.<br />
Une charrette de fleurs mauves passa.<br />
Octave avait été délivré de l’inaction par Joseph Hutré,<br />
l’adjoint, qui lui ouvrit la maison commune.<br />
Ce musicien de Toulon avait naguère fui la République sur<br />
une corvette anglaise, chassé par les canons du capitaine<br />
Bonaparte, mais il avait oublié cet épisode fâcheux en se<br />
mariant à une Elboise, et il tenait le prestigieux Magasin des<br />
Salines, place du Grand-Rempart. Il avait montré à Octave<br />
l’appartement que la municipalité réservait au souverain, quatre<br />
pièces austères où, à l’époque du Consulat, un chef de bataillon<br />
en disgrâce, le commandant Hugo, avait vécu avec ses trois<br />
garçonnets, leur nourrice et une maîtresse grassouillette.<br />
Ensemble, Octave et l’adjoint avaient aidé des marins anglais et<br />
le valet Hubert à décharger les premiers meubles acheminés en<br />
barque de l’<strong>Undaunted</strong>. Ensemble ils avaient vu le peuple des<br />
collines descendre en ville derrière ses curés, puis se masser<br />
près du port.<br />
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