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anquette, les valets détachaient les chevaux et les mules. Le<br />
comte Bertrand marchait au bord des vagues, il tendait une<br />
lanterne. Les marins accostent, ils portent dans leurs bras une<br />
première passagère, pour qu’elle ne trempe pas le bas de sa robe<br />
de faille grise. C’est Marie. Elle a le visage masqué par une<br />
voilette mais Bertrand la reconnaît à sa taille frêle, à ses<br />
manières, à sa façon de tenir son fils par la main. Sa sœur<br />
Émilie vient ensuite, puis Teodor, le frère, mouillé jusqu’aux<br />
genoux. Ils ne perdent pas de temps. Les bagages une fois ficelés<br />
sur le dos des mules, ils roulent le long de la mer ; deux<br />
palefreniers indiquent le chemin avec leurs lanternes. Des<br />
falaises, des vallées et des collines, pendant deux heures ; des<br />
cactus encadrent les vignes qui tombent sur une crique. Ils<br />
passent au village de Biadola, s’arrêtent plus loin, sur la route de<br />
Proccio, dès qu’ils aperçoivent un falot qui se balance dans le<br />
noir. L’Empereur, à cheval, dans son uniforme ordinaire de<br />
colonel, confie cette lumière à un lancier d’escorte, il met pied à<br />
terre, ouvre la portière de la berline. Marie soulève sa voilette, il<br />
lui baise la main, embrasse le petit Alexandre, leur fils, qui se<br />
réveille à peine, salue Teodor et la jeune Émilie. La caravane<br />
poursuit au trot, en se fiant à la lune et à la pâleur des lanternes.<br />
Vers minuit, ils aperçurent une tour cylindrique au bout<br />
d’une plage, dans un halo, entre les pins et les mélèzes de la<br />
route qui grimpait vers Poggio, village tassé sur un piton autour<br />
d’une source dont l’Empereur gardait des barriques aux Mulini,<br />
tant son eau était bienfaisante pour la santé. Les oiseaux<br />
dormaient. L’air était doux, il sentait la menthe et la<br />
térébenthine. À deux kilomètres de là, à Marciana Alta, ils<br />
durent abandonner la berline pour emprunter une piste de<br />
pierres plates où couraient des ruisselets. Napoléon s’empara du<br />
petit Alexandre, qu’on aurait pu confondre avec le roi de Rome,<br />
car les demi-frères se ressemblaient beaucoup ; il cala l’enfant<br />
endormi sur sa selle, contre son gros ventre. Ils allaient ainsi en<br />
procession, l’Empereur et les dames sur des mulets, les hommes<br />
à pied et portant des torches. Au débouché d’un tunnel de<br />
châtaigniers ils se retrouvèrent devant l’ermitage de la Madone.<br />
Le campanile crénelé de la chapelle se découpait sur la lune,<br />
avec ses meurtrières mauresques. Pas un bruit, sinon celui des<br />
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