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Bassano lui apporta les derniers échos de Paris, toujours sur le<br />
même mode, des libelles, des gazettes, une brochure de<br />
Chateaubriand qui attribuait à l’Empereur tous les vices de la<br />
terre et de l’enfer, en brossant de Louis XVIII un portrait<br />
angélique, des chansons imprimées, des caricatures à foison<br />
dont l’une le représentait en toupie giflée par les souverains de<br />
l’Europe ; sur une autre, le vent du nord soufflait pour disperser<br />
ses bulletins de victoire et ses décrets. Des plaisantins avaient<br />
déniché dans les Actes des saints que Napoléon était le nom<br />
d’un diable, d’autres affirmaient pour le brocarder qu’il<br />
s’appelait en vérité Nicolas, ou que Nabot paré était<br />
l’anagramme de Bonaparte. Il ne s’émut que d’un dessin qui<br />
figurait le roi de Rome : l’enfant passait une corde au cou d’un<br />
buste de l’Empereur sous le titre La cravate à papa.<br />
— Tout se rapetisse, dit-il avec une moue dégoûtée.<br />
Ensuite il s’étonna auprès de Bassano de ne plus recevoir<br />
aucune lettre de l’impératrice ; il lui écrivait chaque jour depuis<br />
qu’il était à Fontainebleau, des officiers choisis partaient<br />
régulièrement lui remettre cette prose, mais quoi ? La route de<br />
Blois était coupée, les courriers interceptés, Napoléon s’en<br />
lamentait ; il savait Marie-Louise faible et malade, en proie à<br />
des insomnies, à des crises de larmes. Elle regrettait d’avoir<br />
quitté Paris, elle regrettait de n’être pas auprès de lui.<br />
L’Empereur était seul. Sa famille avait fui. Sa mère était sans<br />
doute à Rome, Louis en Suisse, où Joseph et Jérôme<br />
s’apprêtaient à le rejoindre. Alors, tandis que ses ennemis<br />
s’accordaient sur son dos, l’Empereur sortait de sa chambre et<br />
allait se promener dans le petit jardin près de la chapelle, bien<br />
clos de murs épais.<br />
Depuis l’ancienne galerie des Cerfs, qui dominait le jardin, le<br />
duc de Bassano et Octave observaient l’Empereur : il foulait les<br />
allées à grands pas, une baguette à la main, cassait les branches<br />
des arbustes, saccageait les massifs, décapitait les fleurs à coups<br />
cinglants, et les pétales volaient sur son passage.<br />
— Vous allez surveiller Sa Majesté en permanence, dit<br />
Bassano en tenant familièrement Octave par l’épaule. Je suis<br />
certain qu’il a voulu mourir à plusieurs reprises pendant la<br />
dernière campagne, on m’a raconté qu’il cherchait les situations<br />
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